Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/83

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regards différents, dans la triste tranquillité de la vieillesse, ce qui nous a paru si grand et si intéressant dans l’âge où l’esprit, plus actif, est le jouet de ses désirs et de ses illusions.

Ces disputes, longtemps l’objet de l’attention de la France, ainsi que beaucoup d’autres nées de l’oisiveté, se sont évanouies. On s’étonne aujourd’hui qu’elles aient produit tant d’animosités. L’esprit philosophique, qui gagne de jour en jour, semble assurer la tranquillité publique ; et les fanatiques mêmes, qui s’élèvent contre les philosophes, leur doivent la paix dont ils jouissent, et qu’ils cherchent à perdre.

L’affaire du quiétisme, si malheureusement importante sous Louis XIV, aujourd’hui si méprisée et si oubliée, perdit à la cour le cardinal de Bouillon. Il était neveu de ce célèbre Turenne à qui le roi avait dû son salut dans la guerre civile et, depuis, l’agrandissement de son royaume.

Uni par l’amitié avec l’archevêque de Cambrai, et chargé des ordres du roi contre lui, il chercha à concilier ces deux devoirs. Il est constant, par ses lettres, qu’il ne trahit jamais son ministère en étant fidèle à son ami. Il pressait le jugement du pape, selon les ordres de la cour ; mais en même temps il tâchait d’amener les deux partis à une conciliation.

Un prêtre italien nommé Giori, qui était auprès de lui l’espion de la faction contraire, s’introduisit dans sa confiance et le calomnia dans ses lettres ; et, poussant la perfidie jusqu’au bout, il eut la bassesse de lui demander un secours de mille écus ; et après l’avoir obtenu, il ne le revit jamais.

Ce furent les lettres de ce misérable qui perdirent le cardinal de Bouillon à la cour[1]. Le roi l’accabla de reproches, comme s’il avait trahi l’État. Il paraît pourtant, par toutes ses dépêches, qu’il s’était conduit avec autant de sagesse que de dignité.

Il obéissait aux ordres du roi en demandant la condamnation de quelques maximes pieusement ridicules des mystiques, qui sont les alchimistes de la religion ; mais il était fidèle à l’amitié en éludant les coups que l’on voulait porter à la personne de Fénelon. Supposé qu’il importât à l’Église qu’on n’aimât pas Dieu pour lui-même, il n’importait pas que l’archevêque de Cambrai fût flétri. Mais le roi, malheureusement, voulut que Fénelon fût condamné : soit aigreur contre lui, ce qui semblait au-dessous

  1. Elles furent appuyées par les intrigues de la princesse des Ursins, qui, après avoir été longtemps l’amie du cardinal, s’était brouillée avec lui pour une ridicule querelle d’étiquette. (K.)