Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/87

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doivent à leurs premiers maîtres de morale, et surtout à Confutzée, nommé par nous Confucius, ancien sage qui, près de six cents ans[1] avant la fondation du christianisme, leur enseigna la vertu.

Les familles s’assemblent en particulier, à certains jours, pour honorer leurs ancêtres ; les lettrés, en public, pour honorer Confutzée. On se prosterne, suivant leur manière de saluer les supérieurs, ce que les Romains, qui trouvèrent cet usage dans toute l’Asie, appelèrent autrefois adorer. On brûle des bougies et des pastilles. Des colaos, que les Portugais ont nommés mandarins, égorgent deux fois l’an, autour de la salle où l’on vénère Confutzée, des animaux dont on fait ensuite des repas. Ces cérémonies sont-elles idolâtriques ? sont-elles purement civiles ? reconnaît-on ses pères et Confutzée pour des dieux ? sont-ils même invoqués seulement comme nos saints ? est-ce enfin un usage politique dont quelques Chinois superstitieux abusent ? C’est ce que des étrangers ne pouvaient que difficilement démêler à la Chine, et ce qu’on ne pouvait décider en Europe.

Les dominicains déférèrent les usages de la Chine à l’Inquisition de Rome, en 1645. Le saint office, sur leur exposé, défendit ces cérémonies chinoises, jusqu’à ce que le pape en décidât.

Les jésuites soutinrent la cause des Chinois et de leurs pratiques, qu’il semblait qu’on ne pouvait proscrire sans fermer toute entrée à la religion chrétienne, dans un empire si jaloux de ses usages ; ils représentèrent leurs raisons. L’Inquisition, en 1656, permit aux lettrés de révérer Confutzée, et aux enfants chinois d’honorer leurs pères, en protestant contre la superstition, s’il y en avait.

L’affaire étant indécise, et les missionnaires toujours divisés, le procès fut sollicité à Rome de temps en temps ; et cependant les jésuites qui étaient à Pékin se rendirent si agréables à l’empereur Kang-hi, en qualité de mathématiciens, que ce prince, célèbre par sa bonté et par ses vertus, leur permit enfin d’être missionnaires, et d’enseigner publiquement le christianisme. Il n’est pas inutile d’observer que cet empereur si despotique, et petit-fils du conquérant de la Chine, était cependant soumis par l’usage aux lois de l’empire ; qu’il ne put, de sa seule autorité, permettre le christianisme ; qu’il fallut s’adresser à un tribunal, et qu’il minuta lui-même deux requêtes au nom des jésuites. Enfin, en 1692, le christianisme fut permis à la Chine, par les soins infatigables, et par l’habileté des seuls jésuites.

  1. Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article Chine, section première.