Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/88

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Il y a dans Paris une maison établie pour les missions étrangères. Quelques prêtres de cette maison étaient alors à la Chine. Le pape, qui envoie des vicaires apostoliques dans tous les pays qu’on appelle les parties des infidèles, choisit un prêtre de cette maison de Paris, nommé Maigrot, pour aller présider, en qualité de vicaire, à la mission de la Chine, et lui donna l’évêché de Conon, petite province chinoise dans le Fokien. Ce Français, évêque à la Chine, déclara non-seulement les rites observés pour les morts superstitieux et idolâtres, mais il déclara les lettrés athées : c’était le sentiment de tous les rigoristes de France. Ces mêmes hommes qui se sont tant récriés contre Bayle, qui l’ont tant blâmé d’avoir dit qu’une société d’athées pouvait subsister, qui ont tant écrit qu’un tel établissement est impossible, soutenaient froidement que cet établissement florissait à la Chine dans le plus sage des gouvernements. Les jésuites eurent alors à combattre les missionnaires, leurs confrères, plus que les mandarins et le peuple. Ils représentèrent à Rome qu’il paraissait assez incompatible que les Chinois fussent à la fois athées et idolâtres. On reprochait aux lettrés de n’admettre que la matière ; en ce cas, il était difficile qu’ils invoquassent les âmes de leurs pères et celle de Confutzée. Un de ces reproches semble détruire l’autre, à moins qu’on ne prétende qu’à la Chine on admet le contradictoire, comme il arrive souvent parmi nous ; mais il fallait être bien au fait de leur langue et de leurs mœurs pour démêler ce contradictoire. Le procès de l’empire de la Chine dura longtemps en cour de Rome ; cependant on attaqua les jésuites de tous côtés.

Un de leurs savants missionnaires, le P. Lecomte, avait écrit dans ses Mémoires de la Chine que « ce peuple a conservé pendant deux mille ans la connaissance du vrai Dieu ; qu’il a sacrifié au Créateur dans le plus ancien temple de l’univers ; que la Chine a pratiqué les plus pures leçons de la morale tandis que l’Europe était dans l’erreur et dans la corruption ».

Nous avons vu[1] que cette nation remonte, par une histoire authentique, et par une suite de trente-six éclipses de soleil calculées, jusqu’au delà du temps où nous plaçons d’ordinaire le déluge universel. Jamais les lettrés n’ont eu d’autre religion que l’adoration d’un être suprême. Leur culte fut la justice. Ils ne purent connaître les lois successives que Dieu donna à Abraham, à Moïse, et enfin la loi perfectionnée du Messie, inconnue si long-

  1. Tome XI, page 165.