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PRÉFACE DE L'ÉDITION DE 1748.


Il n’en est pas ainsi de l’Histoire de Charles XII. Je peux assurer que si jamais histoire a mérité la créance du lecteur, c’est celle-ci. Je la composai d’abord, comme on sait, sur les mémoires de M. Fabrice, de MM. de Villelongue et de Fierville, et sur le rapport de beaucoup de témoins oculaires ; mais comme les témoins ne voient pas tout, et qu’ils voient quelquefois mal, je tombai dans plus d’une erreur, non sur les faits essentiels, mais sur quelques anecdotes qui sont assez indifférentes en elles-mêmes, et sur lesquelles les petits critiques triomphent.

J’ai depuis réformé cette histoire sur le journal militaire de M. Adlerfelt, qui est très-exact, et qui a servi à rectifier quelques faits et quelques dates.

J’ai même fait usage de l’histoire écrite par Nordberg, chapelain et confesseur de Charles XII. Il est vrai que c’est un ouvrage bien mal digéré et bien mal écrit, dans lequel on trouve trop de petits faits étrangers à son sujet, et où les grands événements deviennent petits, tant ils sont mal rapportés. C’est un tissu de rescrits, de déclarations, de publications, qui se font d’ordinaire au nom des rois quand ils sont en guerre. Elles ne servent jamais à faire connaître le fond des événements ; elles sont inutiles au militaire et au politique, et sont ennuyeuses pour le lecteur : un écrivain peut seulement les consulter quelquefois dans le besoin, pour en tirer quelque lumière, ainsi qu’un architecte emploie des décombres dans un édifice.

Parmi les pièces publiques dont Nordberg a surchargé sa malheureuse histoire, il s’en trouve même de fausses et d’absurdes, comme la lettre d’Achmet, empereur des Turcs, que cet historien appelle sultan bassa par la grâce de Dieu[1].

Ce même Nordberg fait dire au roi de Suède ce que ce monarque n’a jamais dit ni pu dire au sujet du roi Stanislas. Il prétend que Charles XII, en répondant aux objections du primat, lui dit que Stanislas avait acquis beaucoup d’amis dans son voyage d’Italie. Cependant il est très-certain que jamais Stanislas n’a été en Italie, ainsi que ce monarque me l’a confirmé lui-même. Qu’importe, après tout, qu’un Polonais, dans le XVIIIe siècle, ait voyagé ou non en Italie pour son plaisir ? Que de faits inutiles il faut retrancher de l’histoire ! et que je me sais bon gré d’avoir resserré celle de Charles XII !

Nordberg n’avait ni lumières, ni esprit, ni connaissance

  1. Voyez la lettre de M. de Voltaire à M. Nordberg. (Note de Voltaire.) — Dans la Correspondance, année 1744.