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LIVRE DEUXIÈME.


envoya même un calice d’or à une église de Suède, ce qui aurait soulevé contre lui les Polonais catholiques, si quelque chose avait pu prévaloir contre la terreur de ses armes.

Il sortait de Cracovie bien résolu de poursuivre le roi Auguste sans relâche. À quelques milles de la ville, son cheval s’abattit, et lui fracassa la cuisse[1]. Il fallut le reporter à Cracovie, où il demeura au lit six semaines entre les mains des chirurgiens. Cet accident donna à Auguste le loisir de respirer. Il fit aussitôt répandre dans la Pologne et dans l’empire que Charles XII était mort de sa chute. Cette fausse nouvelle, crue quelque temps, jeta tous les esprits dans l’étonnement et dans l’incertitude. Dans ce petit intervalle il assemble à Marienbourg, puis à Lublin, tous les ordres du royaume déjà convoqués à Sandomir. La foule y fut grande : peu de palatinats refusèrent d’y envoyer. Il regagna presque tous les esprits par des largesses, par des promesses, et par cette affabilité nécessaire aux rois absolus pour se faire aimer, et aux rois électifs pour se maintenir[2]. La diète fut bientôt détrompée de la fausse nouvelle de la mort du roi de Suède ; mais le mouvement était déjà donné à ce grand corps : il se laissa emporter à l’impulsion qu’il avait reçue ; tous les membres jurèrent de demeurer fidèles à leur souverain ; tant les compagnies sont sujettes aux variations. Le cardinal primat lui-même, affectant encore d’être attaché au roi Auguste, vint à la diète de Lublin ; il y baisa la main au roi, et ne refusa point de prêter le serment comme les autres. Ce serment consistait à jurer que l’on n’avait rien entrepris et qu’on n’entreprendrait rien contre Auguste. Le roi dispensa le cardinal de la première partie du serment, et le prélat jura le reste en rougissant. Le résultat de cette diète fut que la république de Pologne entretiendrait une armée de cinquante mille hommes à ses dépens pour le service de son souverain ; qu’on donnerait six semaines aux Suédois pour déclarer s’ils

  1. D’autres auteurs placent cet accident avant l’entrée de Charles XII à Cracovie.
  2. Ici une circonstance très-nécessaire à l’éclaircissement de l’histoire est omise. Les députés de la grande Pologne, à la diète de Lublin, soupçonnés d’être partisans du roi de Suède, ne furent point admis à l’activité. Dans leur diétine de relation, assemblées qui se tiennent ordinairement après la diète, ils exagérèrent l’affront fait aux palatinats et la lésion faite à la liberté. Animés d’ailleurs et soutenus par les Suédois, ils firent une confédération qui contenait le maintien du roi Auguste sur le trône, salvis juribus pactorum conventorum ; clause fort sujette à interprétation, et à un examen douteux si le roi l’avait observée. Cette confédération, appelant d’autres palatinats pour se joindre à ceux de la grande Pologne, s’avança vers Varsovie où, dans l’assemblée convoquée par le cardinal, l’exvinculation de l’obéissance au roi de Pologne fut publiée. (P.)