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LIVRE TROISIÈME.


afficher partout qu’il n’était venu que pour donner la paix ; que tous ceux qui reviendraient chez eux, et qui payeraient les contributions qu’il ordonnerait, seraient traités comme ses propres sujets, et les autres poursuivis sans quartier. Cette déclaration d’un prince qu’on savait n’avoir jamais manqué à sa parole fit revenir en foule tous ceux que la peur avait écartés. Il choisit son camp à Alt-Rantstadt, près de la campagne de Lutzen, champ de bataille fameux par la victoire et par la mort de Gustave-Adolphe. Il alla voir la place où ce grand homme avait été tué. Quand on l’eut conduit sur le lieu : « J’ai tâché, dit-il, de vivre comme lui ; Dieu m’accordera peut-être un jour une mort aussi glorieuse. »

De ce camp il ordonna aux états de Saxe de s’assembler, et de lui envoyer sans délai les registres des finances de l’électorat. Dès qu’il les eut en son pouvoir, et qu’il fut informé au juste de ce que la Saxe pouvait fournir, il la taxa à six cent vingt-cinq mille rixdales par mois. Outre cette contribution, les Saxons furent obligés de fournir à chaque soldat suédois deux livres de viande, deux livres de pain, deux pots de bière, et quatre sous par jour, avec du fourrage pour la cavalerie. Les contributions ainsi réglées, le roi établit une nouvelle police pour garantir les Saxons des insultes de ses soldats : il ordonna, dans toutes les villes où il mit garnison, que chaque hôte chez qui les soldats logeraient donnerait des certificats tous les mois de leur conduite ; faute de quoi le soldat n’aurait point sa paye. De plus, des inspecteurs allaient tous les quinze jours, de maison en maison, s’informer si les Suédois n’avaient point commis de dégât. Ils avaient soin de dédommager les hôtes, et de punir les coupables.

On sait sous quelle discipline sévère vivaient les troupes de Charles XII[1] ; qu’elles ne pillaient pas les villes prises d’assaut avant d’en avoir reçu la permission ; qu’elles allaient même au pillage avec ordre, et le quittaient au premier signal. Les Suédois se vantent encore aujourd’hui de la discipline qu’ils observèrent en Saxe, et cependant les Saxons se plaignent des dégâts affreux qu’ils y commirent : contradictions qu’il serait impossible de concilier si l’on ne savait combien les hommes voient différemment les mêmes objets. Il était bien difficile que les vainqueurs n’abusassent quelquefois de leurs droits, et que les vaincus ne prissent les plus légères lésions pour des brigandages barbares. Un jour, le roi se promenant à cheval près de Leipsick, un paysan saxon vint se jeter à ses pieds pour lui demander justice d’un grenadier

  1. Voyez page 170.