Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
217
LIVRE TROISIÈME.


« 4. Qu’il me livre tous les déserteurs qui ont passé à son service, et nommément Jean Patkul, et qu’il cesse toute procédure contre ceux qui de son service ont passé dans le mien. »


Il donna ce papier au comte Piper, le chargeant de négocier le reste avec les plénipotentiaires du roi Auguste. Ils furent épouvantés de la dureté de ces propositions. Ils mirent en usage le peu d’art qu’on peut employer quand on est sans pouvoir, pour tâcher de fléchir la rigueur du roi de Suède. Ils eurent plusieurs conférences avec le comte Piper. Ce ministre ne répondit autre chose à toutes leurs insinuations, sinon : « Telle est la volonté du roi mon maître ; il ne change jamais ses résolutions. »

Tandis que cette paix se négociait sourdement en Saxe, la fortune sembla mettre le roi Auguste en état d’en obtenir une plus honorable, et de traiter avec son vainqueur sur un pied plus égal.

Le prince Menzikoff, généralissime des armées moscovites, vint avec trente mille hommes le trouver en Pologne dans le temps que non-seulement il ne souhaitait plus ses secours, mais que même il les craignait : il avait avec lui quelques troupes polonaises et saxonnes, qui faisaient en tout six mille hommes. Environné avec ce petit corps de l’armée du prince Menzikoff, il avait tout à redouter en cas qu’on découvrît sa négociation. Il se voyait en même temps détrôné par son ennemi, et en danger d’être arrêté prisonnier par son allié. Dans cette circonstance délicate, l’armée se trouva en présence d’un des généraux suédois, nommé Meyerfelt, qui était à la tête de dix mille hommes à Calish, près du palatinat de Posnanie, Le prince Menzikoff pressa le roi Auguste de donner bataille. Le roi, très-embarrassé, différa sous divers prétextes : car, quoique les ennemis fussent trois fois moins forts que lui, il y avait quatre mille Suédois dans l’armée de Meyerfelt, et c’en était assez pour rendre l’événement douteux. Donner bataille aux Suédois pendant les négociations, et la perdre, c’était creuser l’abîme où il était ; il prit le parti d’envoyer un homme de confiance au général ennemi pour lui donner part du secret de la paix, et l’avertir de se retirer ; mais cet avis eut un effet tout contraire à ce qu’il en attendait. Le général Meyerfelt crut qu’on lui tendait un piége pour l’intimider, et sur cela seul il se résolut à risquer le combat.

Les Russes vainquirent ce jour-là les Suédois en bataille rangée pour la première fois. Cette victoire, que le roi Auguste remporta presque malgré lui, fut complète : il entra triomphant, au milieu de sa mauvaise fortune, dans Varsovie, autrefois sa capitale, ville