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LIVRE CINQUIÈME.


camp, et offrirent de les vendre à un officier des janissaires. Le Turc, indigné qu’on osât ainsi violer la trêve, fit arrêter les Tartares, et les conduisit lui-même devant le grand vizir avec ces deux prisonniers.

Le vizir renvoya ces deux gentilshommes au camp du czar, et fit trancher la tête aux Tartares qui avaient eu le plus de part à leur enlèvement.

Cependant le kan des Tartares s’opposait à la conclusion d’un traité qui lui ôtait l’espérance du pillage. Poniatowski secondait le kan par les raisons les plus pressantes ; mais Osman l’emporta sur l’impatience tartare et sur les insinuations de Poniatowski,

Le vizir crut faire assez pour le Grand Seigneur, son maître, de conclure une paix avantageuse. Il exigea que les Moscovites rendissent Azof ; qu’ils brûlassent les galères qui étaient dans ce port ; qu’ils démolissent des citadelles importantes bâties sur les Palus-Méotides, et que tout le canon et les munitions de ces forteresses demeurassent au Grand Seigneur ; que le czar retirât ses troupes de la Pologne ; qu’il n’inquiétât plus le petit nombre de Cosaques qui étaient sous la protection des Polonais, ni ceux qui dépendaient de la Turquie, et qu’il payât dorénavant aux Tartares un subside de quarante mille sequins par an, tribut odieux, imposé depuis longtemps, mais dont le czar avait affranchi son pays.

Enfin le traité allait être signé sans qu’on eût seulement fait mention du roi de Suède. Tout ce que Poniatowski put obtenir du vizir fut qu’on insérât un article par lequel le Moscovite s’engageait à ne point troubler le retour de Charles XII ; et ce qui est assez singulier, il fut stipulé dans cet article que le czar et le roi de Suède feraient la paix s’ils en avaient envie, et s’ils pouvaient s’accorder.

À ces conditions le czar eut la liberté de se retirer avec son armée, son canon, son artillerie, ses drapeaux, son bagage. Les Turcs lui fournirent des vivres, et tout abonda dans son camp deux heures après la signature du traité, qui fut commencé le 21 juillet 1711 et signé le 1er auguste.

Dans le temps que le czar, échappé de ce mauvais pas, se retirait tambour battant et enseignes déployées, arrive le roi de Suède, impatient de combattre et de voir son ennemi entre ses mains. Il avait couru plus de cinquante lieues à cheval depuis Bender jusqu’auprès d’Yassi, Il arriva dans le temps que les Russes commençaient à faire paisiblement leur retraite ; il fallait, pour pénétrer au camp des Turcs, aller passer le Pruth sur un pont, à trois lieues