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HISTOIRE DE CHARLES XII.


et d’ordonner au résident qu’il laisserait à Constantinople de ne payer que le capital. « Non, dit le roi, si mes domestiques ont donné des billets de cent écus, je veux les payer, quand ils n’en auraient reçu que dix. »

Il fit proposer aux créanciers de le suivre, avec l’assurance d’être payés de leurs frais et de leurs dettes. Plusieurs entreprirent le voyage de Suède, et Grothusen eut soin qu’ils fussent payés.

Les Turcs, afin de montrer plus de déférence pour leur hôte, le faisaient voyager à très-petites journées ; mais cette lenteur respectueuse gênait l’impatience du roi. Il se levait dans la route à trois heures du matin, selon sa coutume. Dès qu’il était habillé, il éveillait lui-même le capigi et les chiaoux, et ordonnait la marche au milieu de la nuit noire. La gravité turque était dérangée par cette manière nouvelle de voyager ; mais le roi prenait plaisir à leur embarras, et disait qu’il se vengeait un peu de l’affaire de Bender.

Tandis qu’il gagnait les frontières des Turcs, Stanislas en sortait par un autre chemin, et allait se retirer en Allemagne, dans le duché de Deux-Ponts, province qui confine au palatinat du Rhin et à l’Alsace, et qui appartenait au roi de Suède depuis que Charles X, successeur de Christine, avait joint cet héritage à la couronne. Charles assigna à Stanislas le revenu de ce duché, estimé alors environ soixante et dix mille écus. Ce fut là qu’aboutirent pour lors tant de projets, tant de guerres et tant d’espérances. Stanislas voulait et aurait pu faire un traité avantageux avec le roi Auguste ; mais l’indomptable opiniâtreté de Charles XII lui fit perdre ses terres et ses biens réels en Pologne, pour lui conserver le titre de roi.

Ce prince resta dans le duché de Deux-Ponts jusqu’à la mort de Charles : alors, cette province retournant à un prince de la maison palatine, il choisit sa retraite à Veissembourg, dans l’Alsace française. M. Sum, envoyé du roi Auguste, en porta ses plaintes au duc d’Orléans, régent de France. Le duc d’Orléans répondit à M. Sum ces paroles remarquables : « Monsieur, mandez au roi votre maître que la France a toujours été l’asile des rois malheureux[1]. »

Le roi de Suède, étant arrivé sur les confins de l’Allemagne, apprit que l’empereur avait ordonné qu’on le reçût dans toutes

  1. Voltaire a cité cette réponse dans l’Encyclopédie, au mot Hauteur ; voyez le même mot dans le Dictionnaire philosophique. Il a dit dans Zaïre, acte II scène III :

    ... La cour de Louis est l’asile des rois.