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HISTOIRE DE CHARLES XII.


comte de Welderen s’il était connu de lui. « Oui, monsieur, répondit le Hollandais, — Eh bien, dit le baron de Görtz, si vous me connaissez vous devez savoir que je ne dis que ce que je veux. » L’interrogatoire ne fut guère poussé plus loin : tous les ambassadeurs, mais particulièrement le marquis de Monteléon, ministre d’Espagne en Angleterre, protestèrent contre l’attentat commis envers la personne de Görtz et de Gyllenborg. Les Hollandais étaient sans excuse : ils avaient non-seulement violé un droit sacré en arrêtant le premier ministre du roi de Suède, qui n’avait rien machiné contre eux ; mais ils agissaient directement contre les principes de cette liberté précieuse qui a attiré chez eux tant d’étrangers, et qui a été le fondement de leur grandeur.

À l’égard du roi d’Angleterre, il n’avait rien fait que de juste en arrêtant prisonnier un ennemi. Il fit, pour sa justification, imprimer les lettres du baron de Görtz et du comte de Gyllenborg, trouvées dans les papiers du dernier. Le roi de Suède était alors dans la province de Scanie ; on lui apporta ces lettres imprimées avec la nouvelle de l’enlèvement de ses deux ministres. Il demanda en souriant si on n’avait pas aussi imprimé les siennes. Il ordonna aussitôt qu’on arrêtât à Stockholm le résident anglais avec toute sa famille et ses domestiques ; il défendit sa cour au résident hollandais, qu’il fit garder à vue. Cependant il n’avoua ni ne désavoua le baron de Görtz : trop fier pour nier une entreprise qu’il avait approuvée, et trop sage pour convenir d’un dessein éventé presque dans sa naissance, il se tint dans un silence dédaigneux avec l’Angleterre et la Hollande[1].

Le czar prit tout un autre parti. Comme il n’était point nommé, mais obscurément impliqué dans les lettres de Gyllenborg et de Görtz, il écrivit au roi d’Angleterre une longue lettre pleine de compliments sur la conspiration, et d’assurance d’une amitié sincère : le roi George reçut ses protestations sans les croire, et feignit de se laisser tromper. Une conspiration tramée par des particuliers, quand elle est découverte, est anéantie ; mais une conspiration de rois n’en prend que de nouvelles forces. Le czar arriva à Paris au mois de mai de la même année 1717. Il ne s’y occupa pas uniquement à voir les beautés de l’art et de la nature, à visiter les académies, les bibliothèques publiques, les cabinets des curieux, les maisons royales : il proposa au duc d’Orléans, régent de France, un traité dont l’acceptation eût pu mettre le comble à la grandeur moscovite. Son dessein était de se réunir

  1. Voyez le chapitre VIII de l’Histoire de Russie.