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PRÉFACE HISTORIQUE ET CRITIQUE.


avaient peuplé le Pérou. L’histoire a été longtemps écrite dans ce goût, qui n’est pas celui du président de Thou et de Rapin de Thoiras.

§ IV.

S’il faut être un peu en garde contre les historiens qui remontent à la Tour de Babel et au déluge, il ne faut pas moins se défier de ceux qui particularisent toute l’histoire moderne, qui entrent dans tous les secrets des ministres, et qui vous donnent audacieusement la relation exacte de toutes les batailles dont les généraux auraient eu bien de la peine à rendre compte.

Il s’est donné depuis le commencement du dernier siècle près de deux cents grands combats en Europe, la plupart plus meurtriers que les batailles d’Arbelle et de Pharsale ; mais très-peu de ces actions ayant eu de grandes suites, elles sont perdues pour la postérité. S’il n’y avait qu’un livre dans le monde, les enfants en sauraient par cœur toutes les lignes, on en compterait toutes les syllabes ; s’il n’y avait eu qu’une bataille, le nom de chaque soldat serait connu, et sa généalogie passerait à la dernière postérité : mais dans cette longue suite à peine interrompue de guerres sanglantes que se font les princes chrétiens, les anciens intérêts, qui tous ont changé, sont effacés par les nouveaux ; les batailles données il y a vingt ans sont oubliées pour celles qu’on donne de nos jours ; comme, dans Paris, les nouvelles d’hier sont étouffées par celles d’aujourd’hui, qui vont l’être à leur tour par celles de demain ; et presque tous les événements sont précipités les uns par les autres dans un éternel oubli. C’est une réflexion qu’on ne saurait trop faire : elle sert à consoler des malheurs qu’on essuie ; elle montre le néant des choses humaines. Il ne reste, pour fixer l’attention des hommes, que les révolutions frappantes qui ont changé les mœurs et les lois des grands États ; et c’est à ce titre que l’histoire de Pierre le Grand mérite d’être connue.

Si on s’est trop appesanti sur quelques détails de combats et de prises de villes qui ressemblent à d’autres combats et à d’autres siéges, on en demande pardon au lecteur philosophe, et on n’a d’autre excuse, sinon que ces petits faits étant liés aux grands, marchent nécessairement à leur suite.

On a réfuté Nordberg[1] dans les endroits qui ont paru les plus importants, et on l’a laissé se tromper impunément sur les petites choses.

  1. Voyez L’Histoire de Charles XII.