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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II.


ont toujours craint le zèle de l’Église de Rome, qu’il ont pris pour de l’ambition, parce qu’en effet l’Église romaine, très-resserrée dans notre hémisphère, et se disant universelle[1], a voulu remplir ce grand titre.

Il n’y a jamais eu en Russie d’établissements pour les Juifs, comme ils en ont dans tant d’États de l’Europe depuis Constantinople jusqu’à Rome. Les Russes ont toujours fait leur commerce par eux-mêmes, et par les nations établies chez eux. De toutes les Églises grecques, la leur est la seule qui ne voie pas des synagogues à côté de ses temples.

SUITE DE L’ÉTAT OU ÉTAIT LA RUSSIE AVANT PIERRE LE GRAND.

La Russie, qui doit uniquement à Pierre le Grand sa grande influence dans les affaires de l’Europe, n’en avait aucune depuis qu’elle était chrétienne. On la voit auparavant faire sur la mer Noire ce que les Normands faisaient sur nos côtes maritimes de l’Océan, armer du temps d’Héraclius quarante mille petites barques, se présenter pour assiéger Constantinople, imposer un tribut aux Césars grecs. Mais le grand-knès Vladimir, occupé du soin d’introduire chez lui le christianisme, et fatigué des troubles intestins de sa maison, affaiblit encore ses États en les partageant entre ses enfants. Ils furent presque tous la proie des Tartares, qui asservirent la Russie pendant deux cents années. Ivan Basilides la délivra et l’agrandit ; mais après lui les guerres civiles la ruinèrent.

Il s’en fallait beaucoup avant Pierre le Grand que la Russie fût aussi puissante, qu’elle eût autant de terres cultivées, autant de sujets, autant de revenus que de nos jours. Elle ne possédait rien dans la Finlande, rien dans la Livonie ; et la Livonie seule vaut mieux que n’a valu longtemps toute la Sibérie. Les Cosaques n’étaient point soumis ; les peuples d’Astracan obéissaient mal ; le peu de commerce que l’on faisait était désavantageux. La mer Blanche, la Baltique, celle du Pont-Euxin, d’Azof, et la mer Caspienne, étaient entièrement inutiles à une nation qui n’avait pas un vaisseau, et qui même dans sa langue manquait de terme pour exprimer une flotte. S’il n’eût fallu qu’être au-dessus des Tartares et des peuples du Nord jusqu’à la Chine, la Russie jouissait de

  1. Le titre de catholique qu’elle prend vient de catholicos, qui en grec signifie universel.