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VOYAGES DE PIERRE LE GRAND.


qu’ils leur firent à chacun d’une chaîne d’or et d’une médaille, leur donnèrent trois carrosses magnifiques[1]. Ils reçurent les premières visites de tous les ambassadeurs plénipotentiaires qui étaient au congrès de Rysvick, excepté des Français, à qui ils n’avaient pas notifié leur arrivée, non-seulement parce que le czar prenait le parti du roi Auguste contre le prince de Conti, mais parce que le roi Guillaume, dont il cultivait l’amitié, ne voulait point la paix avec la France.

De retour à Amsterdam, il y reprit ses premières occupations, et acheva de ses mains un vaisseau de soixante pièces de canon qu’il avait commencé, et qu’il fit partir pour Archangel, n’ayant pas alors d’autre port sur les mers de l’Océan. Non-seulement il faisait engager à son service des réfugiés français, des Suisses, des Allemands, mais il faisait partir des artisans de toute espèce pour Moscou, et n’envoyait que ceux qu’il avait vus travailler lui-même. Il est très-peu de métiers et d’arts qu’il n’approfondît dans les détails : il se plaisait surtout à réformer les cartes des géographes, qui, alors, plaçaient au hasard toutes les positions des villes et des fleuves de ses États, peu connus. On a conservé la carte sur laquelle il traça la communication de la mer Caspienne et de la mer Noire, qu’il avait déjà projetée et dont il avait chargé un ingénieur allemand nommé Brakel. La jonction de ces deux mers était plus facile que celle de l’Océan et de la Méditerranée, exécutée en France ; mais l’idée d’unir la mer d’Azof et la Caspienne effrayait alors l’imagination. De nouveaux établissements dans ce pays lui paraissaient d’autant plus convenables que ses succès lui donnaient de nouvelles espérances.

Ses troupes remportaient[2] une victoire contre les Tartares, assez près d’Azof[3], et même quelques mois après elles prirent la ville d’Or ou Orkapi, que nous nommons Précop. Ce succès servit à le faire respecter davantage de ceux qui blâmaient un souverain d’avoir quitté ses États pour exercer des métiers dans Amsterdam. Ils virent que les affaires du monarque ne souffraient pas des travaux du philosophe voyageur et artisan.

Il continua dans Amsterdam ses occupations ordinaires de constructeur de vaisseaux, d’ingénieur, de géographe, de physi-

  1. Le but de l’ambassade était d’obtenir un secours de soixante vaisseaux de ligne et de cent galères pour opérer contre la Porte. Les États-Généraux rejetèrent la demande. (G. A.)
  2. Dans les éditions qui ont précédé celles de Kehl, la première phrase de cet alinéa était un peu plus haut. Voyez la note 2 de la page précédente. (B.)
  3. 11 août 1697. (Note de Voltaire.)