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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE X.


abolie ; les grands biens affectés au patriarcat furent réunis aux finances publiques, qui en avaient besoin. Si le czar ne se fit pas le chef de l’Église russe, comme les rois de la Grande-Bretagne le sont de l’Église anglicane, il en fut en effet le maître absolu, parce que les synodes n’osaient ni désobéir à un souverain despotique, ni disputer contre un prince plus éclairé qu’eux.

Il ne faut que jeter les yeux sur le préambule de l’édit de ses règlements ecclésiastiques, donné en 1721, pour voir qu’il agissait en législateur et en maître. « Nous nous croirions coupable d’ingratitude envers le Très-Haut si, après avoir réformé l’ordre militaire et le civil, nous négligions l’ordre spirituel, etc. À ces causes, suivant l’exemple des plus anciens rois dont la piété est célèbre, nous avons pris sur nous le soin de donner de bons règlements au clergé. » Il est vrai qu’il établit un synode pour faire exécuter ses lois ecclésiastiques ; mais les membres du synode devaient commencer leur ministère par un serment dont lui-même avait écrit et signé la formule : ce serment était celui de l’obéissance ; en voici les termes : « Je jure d’être fidèle et obéissant serviteur et sujet à mon naturel et véritable souverain, aux augustes successeurs qu’il lui plaira de nommer, en vertu du pouvoir incontestable qu’il en a. Je reconnais qu’il est le juge suprême de ce collége spirituel ; je jure par le Dieu qui voit tout, que j’entends et que j’explique ce serment dans toute la force et le sens que les paroles présentent à ceux qui le lisent ou qui l’écoutent, » Ce serment est encore plus fort que celui de suprématie en Angleterre. Le monarque russe n’était pas à la vérité un des pères du synode, mais il dictait leurs lois ; il ne touchait point à l’encensoir, mais il dirigeait les mains qui le portaient.

En attendant ce grand ouvrage, il crut que, dans ses États, qui avaient besoin d’être peuplés, le célibat des moines était contraire à la nature et au bien public. L’ancien usage de l’Église russe est que les prêtres séculiers se marient au moins une fois ; ils y sont même obligés, et autrefois, quand ils avaient perdu leur femme, ils cessaient d’être prêtres ; mais une multitude de jeunes gens et de jeunes filles, qui font vœu dans un cloître d’être inutiles et de vivre aux dépens d’autrui, lui parut dangereuse : il ordonna qu’on n’entrerait dans les cloîtres qu’à cinquante ans, c’est-à-dire dans un âge où cette tentation ne prend presque jamais, et il défendit qu’on y reçût, à quelque âge que ce fût, un homme revêtu d’un emploi public.

Ce règlement a été aboli depuis lui, lorsqu’on a cru devoir