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DÉSASTRE RÉPARÉ.


lable que la valeur de Charles XII était intrépide et opiniâtre. Il différa ses conférences avec Auguste pour apporter un prompt remède au désordre des affaires. Les troupes dispersées se rendirent à la grande Novogorod, et de là à Pleskow sur le lac Peipus.

C’était beaucoup de se tenir sur la défensive après un si rude échec. « Je sais bien, disait-il, que les Suédois seront longtemps supérieurs ; mais enfin ils nous apprendront à les vaincre. »

Pierre, après avoir pourvu aux premiers besoins, après avoir ordonné partout des levées, court à Moscou faire fondre du canon. Il avait perdu tout le sien devant Narva ; on manquait de bronze : il prend les cloches des églises et des monastères. Ce trait ne marquait pas de superstition, mais aussi il ne marquait pas d’impiété. On fabrique donc avec des cloches cent gros canons, cent quarante-trois pièces de campagne, depuis trois jusqu’à six livres de balle, des mortiers, des obus ; il les envoie à Pleskow. Dans d’autres pays un chef ordonne, et on exécute ; mais alors il fallait que le czar fît tout par lui-même. Tandis qu’il hâte ces préparatifs, il négocie avec le roi de Danemark, qui s’engage à lui fournir trois régiments de pied et trois de cavalerie, engagement que ce roi n’osa remplir.

À peine ce traité est-il signé qu’il revole vers le théâtre de la guerre ; il va trouver le roi Auguste[1] à Birzen, sur les frontières de Courlande et de Lithuanie. Il fallait fortifier ce prince dans la résolution de soutenir la guerre contre Charles XII ; il fallait engager la diète polonaise dans cette guerre. On sait assez qu’un roi de Pologne n’est que le chef d’une république. Le czar avait l’avantage d’être toujours obéi ; mais un roi de Pologne, un roi d’Angleterre, et aujourd’hui un roi de Suède[2], négocient toujours avec leurs sujets. Patkul et les Polonais partisans de leur roi assistèrent à ces conférences. Pierre promit des subsides et vingt mille soldats[3]. La Livonie devait être rendue à la Pologne en cas que la diète voulût s’unir à son roi, et l’aider à recouvrer cette province ; mais les propositions du czar firent moins d’effet sur la diète que la crainte. Les Polonais redoutaient à la fois de se voir gênés par les Saxons et par les Russes, et ils redoutaient encore plus Charles XII. Ainsi le plus nombreux parti conclut à ne point servir son roi et à ne point combattre.

  1. 27 février 1701. (Note de Voltaire.)
  2. En 1759, le roi de Suède Adolphe-Frédéric était à la merci de la faction dite des Chapeaux, qui avait pour antagoniste la faction des Bonnets. Gustave III, son successeur, se rendit absolu en 1772. (G. A.) — Voyez, tome X, page 447, l’Épître adressée à ce prince.
  3. Dans ce volume, page 178, Voltaire a dit cinquante mille.