Tous les avantages qu’on peut tirer d’une bataille gagnée, Charles XII les eut ; magasins immenses, bateaux de transport chargés de provisions, postes évacués ou pris, tout le pays à la discrétion des Suédois : voilà quel fut le fruit de la victoire. Narva délivrée, les débris des Russes ne se montrant pas, toute la contrée ouverte jusqu’à Pleskow, le czar parut sans ressource pour soutenir la guerre ; et le roi de Suède, vainqueur en moins d’une année des monarques de Danemark, de Pologne, et de Russie, fut regardé comme le premier homme de l’Europe, dans un âge où les autres n’osent encore prétendre à la réputation. Mais Pierre, qui dans son caractère avait une constance inébranlable, ne fut découragé dans aucun de ses projets.
Un évêque de Russie composa une prière[1] à saint Nicolas au sujet de cette défaite : on la récita dans la Russie. Cette pièce, qui fait voir l’esprit du temps et de quelle ignorance Pierre a tiré son pays, disait que les enragés et épouvantables Suédois étaient des sorciers : on s’y plaignait d’avoir été abandonné par saint Nicolas. Les évêques russes d’aujourd’hui n’écriraient pas de pareilles pièces ; et, sans faire tort à saint Nicolas, on s’aperçut bientôt que c’était à Pierre qu’il fallait s’adresser.
Le czar, ayant quitté son armée devant Narva, sur la fin de novembre 1700, pour se concerter avec le roi de Pologne, apprit en chemin la victoire des Suédois. Sa constance était aussi inébran-