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DÉSASTRE RÉPARÉ.


taient environ cinquante hommes chacune ; d’autres barques furent armées en guerre sur le lac Ladoga. Il dirigea lui-même tous les ouvrages, et fit manœuvrer ses nouveaux matelots. Ceux qui avaient été employés, en 1697, sur les Palus-Méotides, l’étaient alors près de la Baltique. Il quittait souvent ces ouvrages pour aller à Moscou et dans ses autres provinces affermir toutes les innovations commencées, et en faire de nouvelles.

Les princes qui ont employé le loisir de la paix à construire des ouvrages publics se sont fait un nom ; mais que Pierre, après l’infortune de Narva, s’occupât à joindre par des canaux la mer Baltique, la mer Caspienne et le Pont-Euxin, il y a là plus de gloire véritable que dans le gain d’une bataille. Ce fut en 1702 qu’il commença à creuser ce profond canal qui va du Tanaïs au Volga. D’autres canaux devaient faire communiquer par des lacs le Tanaïs avec la Duina, dont la mer Baltique reçoit les eaux à Biga ; mais ce second projet était encore fort éloigné, puisque Pierre était bien loin d’avoir Biga en sa puissance.

Charles dévastait la Pologne, et Pierre faisait venir de Pologne et de Saxe à Moscou des bergers et des brebis pour avoir des laines avec lesquelles on pût fabriquer de bons draps ; il établissait des manufactures de linge, des papeteries : on faisait venir par ses ordres des ouvriers en fer, en laiton, des armuriers, des fondeurs ; les mines de la Sibérie étaient fouillées. Il travaillait à enrichir ses États et à les défendre.

Charles poursuivait le cours de ses victoires, et laissait vers les États du czar assez de troupes pour conserver, à ce qu’il croyait, toutes les possessions de la Suède. Le dessein était déjà pris de détrôner le roi Auguste, et de poursuivre ensuite le czar jusqu’à Moscou avec ses armes victorieuses.

Il y eut quelques petits combats cette année entre les Russes et les Suédois. Ceux-ci ne furent pas toujours supérieurs ; et dans les rencontres même où ils avaient l’avantage, les Russes s’aguerrissaient. Enfin, un an après la bataille de Narva, le czar avait déjà des troupes si bien disciplinées qu’elles vainquirent un des meilleurs généraux de Charles.

Pierre était à Pleskow, et de là il envoyait de tous côtés des corps nombreux pour attaquer les Suédois. Ce ne fut point un étranger, mais un Russe qui les défit. Son général Sheremetof enleva près de Derpt, sur les frontières de la Livonie[1], plusieurs quartiers au général suédois Slipenbach, par une manœuvre

  1. 11 janvier 1702. (Note de Voltaire.)