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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE XIV.


son armée ; le roi Auguste avait été obligé de fuir de Grodno, et se retirait en hâte vers la Saxe avec quatre régiments de dragons russes ; il affaiblissait ainsi l’armée de son protecteur et la décourageait par sa retraite ; le czar trouva tous les chemins de Grodno occupés par les Suédois, et son armée dispersée.

Tandis qu’il rassemblait ses quartiers avec une peine extrême en Lithuanie, le célèbre Schulenbourg, qui était la dernière ressource d’Auguste, et qui s’acquit depuis tant de gloire par la défense de Corfou contre les Turcs[1], avançait du côté de la grande Pologne avec environ douze mille Saxons et six mille Russes tirés des troupes que le czar avait confiées à ce malheureux prince. Schulenbourg avait une juste espérance de soutenir la fortune d’Auguste : il voyait Charles XII occupé alors du côté de la Lithuanie ; il n’y avait qu’environ dix mille Suédois sous le général Rehnsköld qui pussent arrêter sa marche ; il s’avançait donc avec confiance jusqu’aux frontières de la Silésie, qui est le passage de la Saxe dans la haute Pologne. Quand il fut près du bourg de Frauenstadt, sur les frontières de Pologne, il trouva le maréchal Rehnsköld qui venait lui livrer bataille.

Quelque effort que je fasse pour ne pas répéter ce que j’ai déjà dit dans l’Histoire de Charles XII, je dois redire ici qu’il y avait dans l’armée saxonne un régiment français qui, ayant été fait prisonnier tout entier à la fameuse bataille d’Hochstedt, avait été forcé de servir dans les troupes saxonnes. Mes Mémoires disent qu’on lui avait confié la garde de l’artillerie ; ils ajoutent que ces Français, frappés de la gloire de Charles XII et mécontents du service de Saxe, posèrent les armes dès qu’ils virent les ennemis[2], et demandèrent d’être reçus parmi les Suédois, qu’ils servirent depuis en effet jusqu’à la fin de la guerre[3]. Ce fut là le commencement et le signal d’une déroute entière. Il ne se sauva pas trois bataillons russes, et encore tous les soldats qui échappèrent étaient blessés ; tout le reste fut tué sans qu’on fît quartier à personne. Le chapelain Nordberg prétend que le mot des Suédois, dans cette bataille, était au nom de Dieu, et que celui des Russes était massacrez tout ; mais ce furent les Suédois qui massacrèrent tout au nom de Dieu. Le czar même assure dans un de ses manifestes[4] que beaucoup de prisonniers, Russes, Cosaques,

  1. Voyez, dans la Correspondance, la lettre à Schulenbourg, du 15 sept. 1740.
  2. 6 février. (Note de Voltaire.)
  3. Voyez la note de la page 214.
  4. Manifeste du czar en Ukraine, 1709. (Note de Voltaire.)