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SUITE DE LA BATAILLE DE PULTAVA.


bonheur du genre humain, puisqu’elle a donné au czar la liberté de policer une grande partie du monde.

Il s’est donné en Europe plus de deux cents batailles rangées depuis le commencement de ce siècle jusqu’à l’année où j’écris. Les victoires les plus signalées et les plus sanglantes n’ont eu d’autres suites que la réduction de quelques petites provinces, cédées ensuite par des traités et reprises par d’autres batailles. Des armées de cent mille hommes ont souvent combattu, mais les plus violents efforts n’ont eu que des succès faibles et passagers : on a fait les plus petites choses avec les plus grands moyens. Il n’y a point d’exemple dans nos nations modernes d’aucune guerre qui ait compensé par un peu de bien le mal qu’elle a fait ; mais il a résulté de la journée de Pultava la félicité du plus vaste empire de la terre[1].


CHAPITRE XIX.

SUITE DE LA VICTOIRE DE PULTAVA. CHARLES XII RÉFUGIÉ CHEZ LES TURCS. AUGUSTE, DÉTRÔNÉ PAR LUI, RENTRÉ DANS SES ÉTATS. CONQUÊTES DE PIERRE LE GRAND.

Cependant on présentait au vainqueur tous les principaux prisonniers ; le czar leur fit rendre leurs épées, et les invita à sa table. Il est assez connu qu’en buvant à leur santé il leur dit : « Je bois à la santé de mes maîtres dans l’art de la guerre ; » mais la plupart de ses maîtres, du moins tous les officiers subalternes et tous les soldats, furent bientôt envoyés en Sibérie. Il n’y avait point de cartel entre les Russes et les Suédois : le czar en avait proposé un avant le siége de Pultava ; Charles le refusa, et ses Suédois furent en tout les victimes de son indomptable fierté[2].

C’est cette fierté, toujours hors de saison, qui causa toutes les aventures de ce prince en Turquie, et toutes ses calamités plus dignes d’un héros de l’Arioste que d’un roi sage : car, dès qu’il fut auprès de Bender, on lui conseilla d’écrire au grand vizir selon

  1. « Sans la victoire de Pultava, Pierre, dit l’Anglais Perri, était détrôné ; tout était mûr pour la rébellion, même au sein de la capitale. »
  2. Dans le Charles XII, Voltaire accuse au contraire l’empereur de Russie. Voyez livre IV.