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CHAPITRE LV.


Les souverains peuvent faire des actions de fermeté ; mais ils doivent bien rarement dire des paroles dures. Les maîtres des requêtes ne furent que plus affermis dans leur résolution. Le chancelier les interdit des fonctions de leurs charges ; ils s’interdisaient eux-mêmes.

Ils allèrent en corps au parlement s’opposer à l’enregistrement de redit ; ils furent reçus comme parties. Toute jalousie de corps cédait alors à la haine contre le ministère. Tous les petits intérêts étaient sacrifiés à l’amour de la nouveauté, et à l’esprit de faction qui animait toute la ville. Le parlement n’avait encore dans son parti aucun prince, aucun pair, ni même aucun seigneur. La reine, outrée contre lui, dit hautement plusieurs fois qu’elle ne souffrirait pas « que cette canaille insultât la majesté royale[1] ».

Ces paroles ne servirent pas à ramener les esprits. Le parlement demanda une réforme dans l’administration, et surtout la révocation des intendants de provinces, qu’il regardait comme des magistrats sans titre, instruments odieux des rapines du ministère, oppresseurs du peuple établis par la tyrannie du cardinal de Richelieu, et dont il fallait délivrer la France à jamais.

On criait encore davantage contre l’Italien Particelli d’Émeri, devenu surintendant, condamné autrefois à être pendu à Lyon[2], et monté, par les concussions, au faîte de la fortune. La clameur publique fut si forte, les factions si obstinées, que la cour se crut obligée de plier. Elle exila le surintendant dans ses terres, et promit la suppression des intendants de provinces. Cette condescendance enhardit les mécontents au lieu de les calmer. Le duc d’Orléans, oncle du roi, lieutenant général de l’État sous la reine, qui était alors attaché à elle, négocia avec le parlement, alla quelquefois au palais, eut des conférences chez lui avec les députés du corps : tout fut inutile.

Ces troubles ôtaient au ministère tout son crédit ; il ne pouvait ni emprunter des partisans, ni faire entrer les contributions ordinaires dans le trésor public. On avait encore à soutenir une guerre ruineuse ; la reine fut réduite à mettre en gage les pierreries de la couronne et les siennes propres, à renvoyer quelques

  1. Mémoires de Motteville. (Note de Voltaire.)
  2. Le cardinal de Retz, dans ses Mémoires, dit que Particelli avait été condamné à être pendu. Mais l’arrêt du parlement, du 9 avril 1620, confirmatif d’une sentence de la Conservation de Lyon, porte seulement qu’il était condamné à faire amende honorable, pieds et tête nus, en chemise, avec un écriteau portant ces mots : Banqueroutier frauduleux. La Conservation de Lyon, tribunal de commerce, ne prononçait pas la peine de mort. (B.)