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CAMPAGNE DU PRUTH.


Ces contrées restèrent depuis annexées à l’empire grec, et quand les Turcs eurent pris Constantinople, elles furent gouvernées et opprimées par des princes particuliers. Enfin elles ont été entièrement soumises par le padisha ou empereur turc, qui en donne l’investiture. Le hospodar ou vaivode que la Porte choisit pour gouverner ces provinces est toujours un chrétien grec. Les Turcs ont, par ce choix, fait connaître leur tolérance, tandis que nos déclamateurs ignorants leur reprochent la persécution. Le prince que la Porte nomme est tributaire, ou plutôt fermier : elle confère cette dignité à celui qui en offre davantage, et qui fait le plus de présents au vizir, ainsi qu’elle confère le patriarcat grec de Constantinople. C’est quelquefois un dragoman, c’est-à-dire un interprète du divan, qui obtient cette place. Rarement la Moldavie et la Valachie sont réunies sous un même vaivode ; la Porte partage ces deux provinces, pour en être plus sûre, Demetrius Cantemir avait obtenu la Moldavie. On faisait descendre ce vaivode Cantemir de Tamerlan, parce que le nom de Tamcrlan était Timur, que ce Timur était un kan tartare : et du nom de Timurkan venait, disait-on, la famille Kantemir.

Bassaraba Brancovan avait été investi de la Valachie. Ce Bassaraba ne trouva point de généalogiste qui le fit descendre d’un conquérant tartare. Cantemir crut que le temps était venu de se soustraire à la domination des Turcs, et de se rendre indépendant par la protection du czar. Il fit précisément avec Pierre ce que Mazeppa avait fait avec Charles. Il engagea même d’abord le hospodar de Valachie, Bassaraba, à entrer dans la conspiration, dont il espérait recueillir tout le fruit. Son plan était de se rendre maître des deux provinces. L’évêque de Jérusalem, qui était alors en Valachie, fut l’âme de ce complot. Cantemir promit au czar des troupes et des vivres, comme Mazeppa en avait promis au roi de Suède, et ne tint pas mieux sa parole.

Le général Sheremetof s’avança jusqu’à Yassi, capitale de la Moldavie, pour voir et pour soutenir l’exécution de ces grands projets. Cantemir l’y vint trouver, et en fut reçu en prince ; mais il n’agit en prince qu’en publiant un manifeste contre l’empire turc. Le hospodar de Valachie, qui démêla bientôt ses vues ambitieuses, abandonna son parti et rentra dans son devoir. L’évêque de Jérusalem, craignant justement pour sa tête, s’enfuit et se cacha ; les peuples de la Valachie et de la Moldavie demeurèrent fidèles à la Porte-Ottomane, et ceux qui devaient fournir des vivres à l’armée russe les allèrent porter à l’armée turque.

Déjà le vizir Baltagi Mehemet avait passé le Danube à la tête