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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE I.


pas recevoir. Charles employa toutes les intrigues, comme un sujet qui veut décrier un ministre auprès de son maître. C’est ainsi qu’il se conduisit contre le vizir Mehemet et contre tous ses successeurs : tantôt on s’adressait à la sultane validé par une juive, tantôt on employait un eunuque ; il y eut enfin un homme[1] qui, se mêlant parmi les gardes du Grand Seigneur, contrefit l’insensé, afin d’attirer ses regards, et de pouvoir lui donner un mémoire du roi. De toutes ces manœuvres, Charles ne recueillit d’abord que la mortification de se voir retrancher son thaim, c’est-à-dire la subsistance que la générosité de la Porte lui fournissait par jour, et qui se montait à quinze cents livres, monnaie de France. Le grand vizir, au lieu de thaim, lui dépêcha un ordre, en forme de conseil, de sortir de la Turquie.

Charles s’obstina plus que jamais à rester, s’imaginant toujours qu’il rentrerait en Pologne et dans l’empire russe avec une armée ottomane. Personne n’ignore quelle fut enfin, en 1714, l’issue de son audace inflexible, comment il se battit contre une armée de janissaires, de spahis, et de Tartares, avec ses secrétaires, ses valets de chambre, ses gens de cuisine et d’écurie ; qu’il fut captif dans le pays où il avait joui de la plus généreuse hospitalité ; qu’il retourna ensuite déguisé en courrier dans ses États, après avoir demeuré cinq années en Turquie. Il faut avouer que s’il y a eu de la raison dans sa conduite, cette raison n’était pas faite comme celle des autres hommes.


CHAPITRE II.
SUITE DE L’AFFAIRE DE PRUTH.

Il est utile de rappeler ici un fait déjà raconté dans l’Histoire de Charles XII[2]. Il arriva, pendant la suspension d’armes qui précéda le traité du Pruth, que deux Tartares surprirent deux officiers italiens de l’armée du czar, et vinrent les vendre à un officier des janissaires ; le vizir punit cet attentat contre la foi publique

  1. Villelongue ; voyez page 308.
  2. Voyez page 278.