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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE VI.
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et quoiqu’il n’eût point été envoyé en Sibérie comme tant d’autres, son état était à plaindre. Les finances du czar n’étaient point alors administrées aussi fidèlement qu’elles devaient l’être, et tous ses nouveaux établissements exigeaient des dépenses auxquelles il avait peine à suffire ; il devait une somme d’argent assez considérable aux Hollandais, au sujet de deux de leurs vaisseaux marchands brûlés sur les côtes de la Finlande. Le czar prétendit que c’était aux Suédois à payer cette somme, et voulut engager le comte Piper à se charger de cette dette : on le fit venir de Moscou à Pétersbourg ; on lui offrit sa liberté en cas qu’il pût tirer sur la Suède environ soixante mille écus en lettres de change. On dit qu’il tira en effet cette somme sur sa femme à Stockholm, qu’elle ne fut en état ni peut-être en volonté de donner, et que le roi de Suède ne fit aucun mouvement pour la payer. Quoi qu’il en soit, le comte Piper fut enfermé dans la forteresse de Schlusselbourg, où il mourut l’année d’après, à l’âge de soixante et dix ans. On rendit son corps au roi de Suède, qui lui fit faire des obsèques magnifiques ; tristes et vains dédommagements de tant de malheurs et d’une fin si déplorable !

Pierre était satisfait d’avoir la Livonie, l’Estonie, la Carélie, l’Ingrie, qu’il regardait comme des provinces de ses États, et d’y avoir ajouté encore presque toute la Finlande, qui servait de gage en cas qu’on pût parvenir à la paix. Il avait marié une fille de son frère avec le duc de Mecklenbourg Charles-Léopold, au mois d’avril de la même année, de sorte que tous les princes du Nord étaient ses alliés ou ses créatures. Il contenait en Pologne les ennemis du roi Auguste : une de ses armées, d’environ dix-huit mille hommes, y dissipait sans effort toutes ces confédérations si souvent renaissantes dans cette patrie de la liberté et de l’anarchie. Les Turcs, fidèles enfin aux traités, laissaient à sa puissance et à ses desseins toute leur étendue.

Dans cet État florissant, presque tous les jours étaient marqués par de nouveaux établissements pour la marine, pour les troupes, le commerce, les lois ; il composa lui-même un code militaire pour l’infanterie.

Il fondait[1] une académie de marine à Pétersbourg. Lange, chargé des intérêts du commerce, partait pour la Chine par la Sibérie. Des ingénieurs levaient des cartes dans tout l’empire ; on bâtissait la maison de plaisance de Pétershoff ; et dans le même temps on élevait des forts sur l’Irtish, on arrêtait les brigandages

  1. 8 novembre 1715. (Note de Voltaire.)