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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE X.


ceux qui ravalent conseillé, et qu’il exécutât son serment de renoncer à la succession.

Il semblait difficile de concilier cette exhérédation avec l’autre serment que le czar avait fait dans sa lettre d’aimer son fils plus que jamais. Peut-être que le père, combattu entre l’amour paternel et la raison du souverain, se bornait à aimer son fils retiré dans un cloître ; peut-être espérait-il encore le ramener à son devoir, et le rendre digne de cette succession même, en lui faisant sentir la perte d’une couronne. Dans des conjonctures si rares, si difficiles, si douloureuses, il est aisé de croire que ni le cœur du père ni celui du fils, également agités, n’étaient d’abord bien d’accord avec eux-mêmes.

Le prince arrive le 13 février 1718, n. st., à Moscou, où le czar était alors. Il se jette le jour même aux genoux de son père ; il a un très-long entretien avec lui : le bruit se répand aussitôt dans la ville que le père et le fils sont réconciliés, que tout est oublié ; mais le lendemain on fait prendre les armes aux régiments des gardes, à la pointe du jour ; on fait sonner la grosse cloche de Moscou. Les boïards, les conseillers privés, sont mandés dans le château ; les évêques, les archimandrites, et deux religieux de Saint-Basile, professeurs en théologie, s’assemblent dans l’église cathédrale. Alexis est conduit sans épée et comme prisonnier dans le château, devant son père. Il se prosterne en sa présence, et lui remet en pleurant un écrit par lequel il avoue ses fautes, se déclare indigne de lui succéder, et pour toute grâce lui demande la vie.

Le czar, après l’avoir relevé, le conduisit dans un cabinet où il lui fit plusieurs questions. Il lui déclara que s’il celait quelque chose touchant son évasion, il y allait de sa tête. Ensuite on ramena le prince dans la salle où le conseil était assemblé ; là on lut publiquement la déclaration du czar déjà dressée.

Le père, dans cette pièce, reproche à son fils tout ce que nous avons détaillé, son peu d’application à s’instruire, ses liaisons avec les partisans des anciennes mœurs, sa mauvaise conduite avec sa femme. « Il a violé, dit-il, la foi conjugale en s’attachant à une fille de la plus basse extraction, du vivant de son épouse. » Il est vrai que Pierre avait répudié sa femme en faveur d’une captive ; mais cette captive était d’un mérite supérieur ; et il était justement mécontent de sa femme, qui était sa sujette. Alexis, au contraire, avait négligé sa femme pour une jeune inconnue qui n’avait de mérite que sa beauté. Jusque-là on ne voit que des fautes de jeune homme qu’un père doit reprendre, et qu’il peut pardonner.