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SECONDE PARTIE. — CHAPITRE X.


Donnons à notre susdit fils Alexis notre malédiction paternelle, si jamais, en quelque temps que ce soit, il prétend à ladite succession, ou la recherche.

Désirons aussi de nos fidèles sujets de l’état ecclésiastique et séculier, et de tout autre état, et de la nation entière, que, selon cette constitution et suivant notre volonté, ils reconnaissent et considèrent notre dit fils Pierre, désigné par nous à la succession, pour légitime successeur, et qu’en conformité de cette présente constitution ils confirment le tout par serment devant le saint autel, sur les saints Évangiles, en baisant la croix.

Et tous ceux qui s’opposeront jamais, en quelque temps que ce soit, à notre volonté, et qui dès aujourd’hui oseront considérer notre fils Alexis comme successeur, ou l’assister à cet effet, nous les déclarons traîtres envers nous et la patrie ; et avons ordonné que la présente soit partout publiée, afin que personne n’en prétende cause d’ignorance. Fait à Moscou, le 14 février 1718, n. st. Signé de notre main, et scellé de notre sceau. »

Il paraît que ces actes étaient préparés, ou qu’ils furent dressés avec une extrême célérité, puisque le prince Alexis était revenu le 13, et que son exhérédation en faveur du fils de Catherine est du 14.

Le prince, de son côté, signa qu’il renonçait à la succession. « Je reconnais, dit-il, cette exclusion pour juste ; je l’ai méritée par mon indignité ; et je jure au Dieu tout-puissant en Trinité de me soumettre en tout à la volonté paternelle, etc. »

Ces actes étant signés, le czar marcha à la cathédrale ; on les y lut une seconde fois, et tous les ecclésiastiques mirent leurs approbations et leurs signatures au bas d’une autre copie. Jamais prince ne fut déshérité d’une manière si authentique. Il y a beaucoup d’États où un tel acte ne serait d’aucune valeur ; mais en Russie, comme chez les anciens Romains, tout père avait le droit de priver son fils de sa succession ; et ce droit était plus fort dans un souverain que dans un sujet, et surtout dans un souverain tel que Pierre.

Cependant il était à craindre qu’un jour ceux-mêmes qui avaient animé le prince contre son père, et conseillé son évasion, ne tâchassent d’anéantir une renonciation imposée par la force, et de rendre au fils aîné la couronne transférée au cadet d’un second lit. On prévoyait en ce cas une guerre civile, et la destruction inévitable de tout ce que Pierre avait fait de grand et d’utile. Il fallait décider entre les intérêts de près de dix-huit millions d’hommes que contenait alors la Russie, et un seul homme qui