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DU COMMERCE.


de la Sibérie, fut vingt ans à la tête de ce commerce. Les caravanes étaient quelquefois très-nombreuses, et il était difficile de contenir la populace qui composait le plus grand nombre.

On passait sur les terres d’un prêtre lama, espèce de souverain qui réside sur la rivière d’Orkon, et qu’on appelle le Koutoukas : c’est un vicaire du grand lama, qui s’est rendu indépendant en changeant quelque chose à la religion du pays, dans laquelle l’ancienne opinion indienne de la métempsycose est l’opinion dominante : on ne peut mieux comparer ce prêtre qu’aux évêques luthériens de Lubeck et d’Osnabruck, qui ont secoué le joug de l’évêque de Rome. Ce prélat tartare fut insulté par les caravanes ; les Chinois le furent aussi. Le commerce fut encore dérangé par cette mauvaise conduite, et les Chinois menacèrent de fermer l’entrée de leur empire à ces caravanes si on n’arrêtait pas ces désordres. Le commerce avec la Chine était alors très-avantageux aux Russes : ils rapportaient de l’or, de l’argent, et des pierreries. Le plus gros rubis qu’on connaisse dans le monde fut apporté de la Chine au prince Gagarin, passa depuis dans les mains de Menzikoff, et est actuellement un des ornements de la couronne impériale.

Les vexations du prince Gagarin nuisirent beaucoup au commerce qui l’avait enrichi ; mais enfin elles le perdirent lui-même : il fut accusé devant la chambre de justice établie par le czar, et on lui trancha la tête une année après que le czarovitz fut condamné, et que la plupart de ceux qui avaient eu des liaisons avec ce prince furent exécutés à mort.

En ce temps-là même l’empereur Kang-hi, se sentant affaiblir, et ayant l’expérience que les mathématiciens d’Europe étaient plus savants que les mathématiciens de la Chine, crut que les médecins d’Europe valaient aussi mieux que les siens ; il fit prier le czar, par les ambassadeurs qui revenaient de Pékin à Pétersbourg, de lui envoyer un médecin. Il se trouva un chirurgien anglais à Pétersbourg, qui s’offrit à faire ce personnage ; il partit avec un nouvel ambassadeur et avec Laurent Lange, qui a laissé une description de ce voyage. Cette ambassade fut reçue et défrayée avec magnificence. Le chirurgien anglais trouva l’empereur en bonne santé, et passa pour un médecin très-habile. La caravane qui suivit cette ambassade gagna beaucoup ; mais de nouveaux excès commis par cette caravane même indisposèrent tellement les Chinois qu’on renvoya Lange, alors résident du czar auprès de l’empereur de la Chine, et qu’on renvoya avec lui tous les marchands de Russie.