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AROT ET MAROT, ET ALCORAN.

fut le premier qui défendit ces mariages dans le sura ou chapitre iv. Où est donc la saleté ?

À l’égard des femmes célestes, où est la saleté ? Certes il n’y a rien de sale dans le mariage, que nous reconnaissons ordonné sur la terre et béni par Dieu même. Le mystère incompréhensible de la génération est le sceau de l’Être éternel. C’est la marque la plus chère de sa puissance d’avoir créé le plaisir, et d’avoir par ce plaisir même perpétué tous les êtres sensibles.

Si on ne consulte que la simple raison, elle nous dira qu’il est vraisemblable que l’Être éternel, qui ne fait rien en vain, ne nous fera pas renaître en vain avec nos organes. Il ne sera pas indigne de la majesté suprême de nourrir nos estomacs avec des fruits délicieux, s’il nous fait renaître avec des estomacs. Nos saintes Écritures nous apprennent que Dieu mit d’abord le premier homme et la première femme dans un paradis de délices. Ils étaient alors dans un état d’innocence et de gloire, incapables d’éprouver les maladies et la mort. C’est à peu près l’état où seront les justes, lorsque après leur résurrection ils seront pendant l’éternité ce qu’ont été nos premiers parents pendant quelques jours. Il faut donc pardonner à ceux qui ont cru qu’ayant un corps, ce corps sera continuellement satisfait. Nos Pères de l’Église n’ont point eu d’autre idée de la Jérusalem céleste. Saint Irénée dit[1] que chaque cep de vigne y portera dix mille branches, chaque branche dix mille grappes, et chaque grappe dix mille raisins, etc.

Plusieurs Pères de l’Église en effet ont pensé que les bienheureux dans le ciel jouiraient de tous leurs sens. Saint Thomas[2] dit que le sens de la vue sera infiniment perfectionné, que tous les éléments le seront aussi, que la superficie de la terre sera diaphane comme le verre, l’eau comme le cristal, l’air comme le ciel, le feu comme les astres.

Saint Augustin dans sa Doctrine chrétienne[3] dit que le sens de l’ouïe goûtera le plaisir des sons, du chant, et du discours.

Un de nos grands théologiens italiens, nommé Plazza, dans sa Dissertation sur le paradis [4], nous apprend que les élus ne cesseront jamais de jouer de la guitare et de chanter : ils auront, dit-il, trois nobilités, trois avantages ; des plaisirs sans chatouille-

  1. Livre V, chapitre xxxiii. (Note de Voltaire.)
  2. Commentaire sur la Genèse, tome 11, livre IV. (Id.)
  3. Chapitres ii et iii, numéro 149. (Id.)
  4. Supplém., part, iii, question 84. (Id.)