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ARTS, BEAUX-ARTS.

Si ce monarque n’avait été connu que par le bannissement de six à sept cent mille citoyens utiles, par son irruption dans la Hollande dont il fut bientôt obligé de sortir, par sa grandeur qui l’attachait au rivage[1] tandis que ses troupes passaient le Rhin à la nage ; si on n’avait pour monument de sa gloire que les prologues de ses opéras suivis de la bataille d’Hochstedt, sa personne et son règne figureraient mal dans la postérité. Mais tous les beaux-arts en foule, encouragés par son goût et par sa munificence, ses bienfaits répandus avec profusion sur tant de gens de lettres étrangers, le commerce naissant à sa voix dans son royaume, cent manufactures établies, cent belles citadelles bâties, des ports admirables construits, les deux mers unies par des travaux immenses, etc., forcent encore l’Europe à regarder avec respect Louis XIV et son siècle.

Ce sont surtout ces grands hommes uniques en tout genre, que la nature produisit alors à la fois, qui rendirent ces temps éternellement mémorables. Le siècle fut plus grand que Louis XIV, mais la gloire en rejaillit sur lui.

L’émulation des arts a changé la face de la terre du pied des Pyrénées aux glaces d’Archangel. Il n’est presque point de prince en Allemagne qui n’ait fait des établissements utiles et glorieux.

Qu’ont fait les Turcs pour la gloire ? rien. Ils ont dévasté trois empires et vingt royaumes ; mais une seule ville de l’ancienne Grèce aura toujours plus de réputation que tous les Ottomans ensemble.

Voyez ce qui s’est fait depuis peu d’années dans Pétersbourg, que j’ai vu un marais au commencement du siècle où nous sommes. Tous les arts y ont accouru, tandis qu’ils sont anéantis dans la patrie d’Orphée, de Linus et d’Homère.

La statue que l’impératrice de Russie élève à Pierre le Grand parle du bord de la Neva à toutes les nations ; elle dit : J’attends celle de Catherine. Mais il la faudra placer vis-à-vis de la vôtre, etc.

Que la nouveauté des arts ne prouve point la nouveauté du globe.

Tous les philosophes crurent la matière éternelle ; mais les arts paraissent nouveaux. Il n’y a pas jusqu’à l’art de faire du pain qui ne soit récent. Les premiers Romains mangeaient de la

  1. Boileau, Passage du Rhin. (Note de Voltaire.) — (Épître iv, v. 114.)