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ATHÉE.

On agitait si le fils avait été composé de deux personnes sur la terre. Ainsi la question était, sans qu’on s’en aperçût, s’il y avait dans la Divinité cinq personnes, en comptant deux pour Jésus-Christ sur la terre, et trois dans le ciel ; ou quatre personnes, en ne comptant le Christ en terre que pour une ; ou trois personnes, en ne regardant le Christ que comme Dieu. On disputait sur sa mère, sur la descente dans l’enfer et dans les limbes, sur la manière dont on mangeait le corps de l’homme-Dieu, et dont on buvait le sang de l’homme-Dieu, et sur sa grâce, et sur ses saints, et sur tant d’autres matières. Quand on voyait les confidents de la Divinité si peu d’accord entre eux, et prononçant anathème les uns contre les autres, de siècle en siècle, mais tous d’accord dans la soif immodérée des richesses et de la grandeur ; lorsque d’un autre côté on arrêtait la vue sur ce nombre prodigieux de crimes et de malheurs dont la terre était infectée, et dont plusieurs étaient causés par les disputes mêmes de ces maîtres des âmes : il faut l’avouer, il semblait permis à l’homme raisonnable de douter de l’existence d’un être si étrangement annoncé, et à l’homme sensible d’imaginer qu’un Dieu qui aurait fait librement tant de malheureux n’existait pas.

Supposons, par exemple, un physicien du xve siècle, qui lit dans la Somme de saint Thomas ces paroles : « Virtus cœli, loco spermatis, sufficit cum elementis et putrefactione ad generationem animalium imperfectorum. — La vertu du ciel, au lieu de sperme, suffit avec les éléments et la putréfaction pour la génération des animaux imparfaits. » Voici comme ce physicien aura raisonné : Si la pourriture suffit avec les éléments pour faire des animaux informes, apparemment qu’un peu plus de pourriture et un peu plus de chaleur fait aussi des animaux plus complets. La vertu du ciel n’est ici que la vertu de la nature. Je penserai donc, avec Épicure et saint Thomas, que les hommes ont pu naître du limon de la terre et des rayons du soleil : c’est encore une origine assez noble pour des êtres si malheureux et si méchants. Pourquoi admettrai-je un Dieu créateur, qu’on ne me présente que sous tant d’idées contradictoires et révoltantes ? Mais enfin la physique est née, et la philosophie avec elle. Alors on a clairement reconnu que le limon du Nil ne forme ni un seul insecte, ni un seul épi de froment : on a été forcé de reconnaître partout des germes, des rapports, des moyens, et une correspondance étonnante entre tous les êtres. On a suivi les traits de lumière qui partent du soleil pour aller éclairer les globes et l’anneau de Saturne à trois cents millions de lieues, et pour venir