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BACCHUS.

Si les Grecs avaient puisé leurs fables dans l’histoire juive, ils y auraient pris des faits plus intéressants pour le genre humain. Les aventures d’Abraham, celles de Noé, de Mathusalem, de Seth, d’Énoch, de Caïn, d’Ève, de son funeste serpent, de l’arbre de la science, tous ces noms leur ont été de tout temps inconnus ; et ils n’eurent une faible connaissance du peuple juif que longtemps après la révolution que fit Alexandre en Asie et en Europe. L’historien Josèphe l’avoue en termes formels. Voici comme il s’exprime dès le commencement de sa réponse à Apion, qui (par parenthèse) était mort quand il lui répondit, car Apion mourut sous l’empereur Claude, et Josèphe écrivit sous Vespasien :

[1] « Comme le pays que nous habitons est éloigné de la mer, nous ne nous appliquons point au commerce, et n’avons point de communication avec les autres nations. Nous nous contentons de cultiver nos terres, qui sont très-fertiles, et travaillons principalement à bien élever nos enfants, parce que rien ne nous paraît si nécessaire que de les instruire dans la connaissance de nos saintes lois, et dans une véritable piété qui leur inspire le désir de les observer. Ces raisons, ajoutées à ce que j’ai dit, et à cette manière de vie qui nous est particulière, font voir que, dans les siècles passés, nous n’avons point eu de communication avec les Grecs, comme ont eu les Égyptiens et les Phéniciens... Y a-t-il donc sujet de s’étonner que notre nation n’étant point voisine de la mer, n’affectant point de rien écrire, et vivant en la manière que je l’ai dit, elle ait été peu connue ? »

Après un aveu aussi authentique du Juif le plus entêté de l’honneur de sa nation qui ait jamais écrit, on voit assez qu’il est impossible que les anciens Grecs eussent pris la fable de Bacchus dans les livres sacrés des Hébreux, ni même aucune autre fable, comme le sacrifice d’Iphigénie, celui du fils d’Idoménée, les travaux d’Hercule, l’aventure d’Eurydice, etc. : la quantité d’anciens récits qui se ressemblent est prodigieuse. Comment les Grecs ont-ils mis en fables ce que les Hébreux ont mis en histoire ? serait-ce par le don de l’invention ? serait-ce par la facilité de l’imitation ? serait-ce parce que les beaux esprits se rencontrent ? Enfin, Dieu l’a permis ; cela doit suffire. Qu’importe que les Arabes et les Grecs aient dit les mêmes choses que les Juifs ? Ne lisons l’Ancien Testament que pour nous préparer au Nouveau, et ne cherchons dans l’un et dans l’autre que des leçons de bienfaisance, de modération, d’indulgence, et d’une véritable charité.


  1. Réponse de Josèphe. Traduction d’Arnaud d’Andilly, ch. v. (Note de Voltaire.)