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BIEN, TOUT EST BIEN.

Dieu. Qu’importe à l’Être éternel qu’un peu de métal jaune soit entre les mains de Jérôme ou de Bonaventure ? Nous avons des désirs nécessaires, des passions nécessaires, des lois nécessaires pour les réprimer ; et tandis que sur notre fourmilière nous nous disputons un brin de paille pour un jour, l’univers marche à jamais par des lois éternelles et immuables, sous lesquelles est rangé l’atome qu’on nomme la terre.



BIEN, TOUT EST BIEN[1].


Je vous prie, messieurs, de m’expliquer le tout est bien, car je ne l’entends pas.

Cela signifie-t-il tout est arrangé, tout est ordonné, suivant la théorie des forces mouvantes ? Je le comprends et je l’avoue.

Entendez-vous que chacun se porte bien, qu’il a de quoi vivre, et que personne ne souffre ? Vous savez combien cela est faux.

Votre idée est-elle que les calamités lamentables qui affligent la terre sont bien par rapport à Dieu et le réjouissent ? Je ne crois point cette horreur, ni vous non plus.

De grâce, expliquez-moi le tout est bien. Platon le raisonneur daigna laisser à Dieu la liberté de faire cinq mondes, par la raison, dit-il, qu’il n’y a que cinq corps solides réguliers en géométrie, le tétraèdre, le cube, l’hexaèdre, le dodécaèdre, l’icosaèdre. Mais pourquoi resserrer ainsi la puissance divine ? pourquoi ne lui pas permettre la sphère, qui est encore plus régulière, et même le cône, la pyramide à plusieurs faces, le cylindre, etc. ?

Dieu choisit, selon lui, nécessairement le meilleur des mondes possibles ; ce système a été embrassé par plusieurs philosophes chrétiens, quoiqu’il semble répugner au dogme du péché originel : car notre globe, après cette transgression, n’est plus le meilleur des globes ; il l’était auparavant : il pourrait donc l’être encore, et bien des gens croient qu’il est le pire des globes, au lieu d’être le meilleur.

Leibnitz, dans sa Théodicée[2], prit le parti de Platon. Plus d’un lecteur s’est plaint de n’entendre pas plus l’un que l’autre ; pour

  1. Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770. (B.) — C’est à propos de cet axiome que Voltaire composa son admirable roman intitulé Candide.
  2. La Théodicée de Godefroi-Guillaume Leibnitz, publiée en 1716 à Amsterdam, est un cours d’optimisme universel. (E. B.)