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ADAM.

J’ose affirmer qu’il a fallu un miracle pour boucher ainsi les yeux et les oreilles de toutes les nations, pour détruire chez elles tout monument, tout ressouvenir de leur premier père. Qu’auraient pensé, qu’auraient dit César, Antoine, Crassus, Pompée, Cicéron, Marcellus, Métellus, si un pauvre Juif, en leur vendant du baume, leur avait dit : Nous descendons tous d’un même père nommé Adam ? Tout le sénat romain aurait crié : Montrez-nous notre arbre généalogique. Alors le Juif aurait déployé ses dix générations jusqu’à Noé, jusqu’au secret de l’inondation de tout le globe. Le sénat lui aurait demandé combien il y avait de personnes dans l’arche pour nourrir tous les animaux pendant dix mois entiers, et pendant l’année suivante qui ne put fournir aucune nourriture. Le rogneur d’espèces aurait dit : Nous étions huit, Noé et sa femme, leurs trois fils, Sem, Cham et Japhet, et leurs épouses. Toute cette famille descendait d’Adam en droite ligne.

Cicéron se serait informé sans doute des grands monuments, des témoignages incontestables que Noé et ses enfants auraient laissés de notre commun père ; toute la terre après le déluge aurait retenti à jamais des noms d’Adam et de Noé, l’un père, l’autre restaurateur de toutes les races. Leurs noms auraient été dans toutes les bouches dès qu’on aurait parlé, sur tous les parchemins dès qu’on aurait su écrire, sur la porte de chaque maison sitôt qu’on aurait bâti, sur tous les temples, sur toutes les statues. Quoi ! vous saviez un si grand secret, et vous nous l’avez caché ! C’est que nous sommes purs, et que vous êtes impurs, aurait répondu le Juif. Le sénat romain aurait ri, ou l’aurait fait fustiger : tant les hommes sont attachés à leurs préjugés !


SECTION II[1].


La pieuse Mme  de Bourignon[2] était sûre qu’Adam avait été hermaphrodite, comme les premiers hommes du divin Platon. Dieu lui avait révélé ce grand secret ; mais comme je n’ai pas eu les mêmes révélations, je n’en parlerai point. Les rabbins juifs ont lu les livres d’Adam ; ils savent le nom de son précep-

  1. Dictionnaire philosophique, addition de l’édition de 1767. (B.)
  2. Antoinette Bourignon, née le 13 janvier 1616, à Lille, était une visionnaire et une illuminée qui a composé vingt-deux volumes mystiques, entre autres un traité du Nouveau Ciel et du Règne de l’Antéchrist, un traité de l’Aveuglement des hommes, et de la Lumière née en ténèbres. (E. B.)