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HISTOIRE.

et la satire ? Il n’y a peut-être qu’une règle sûre, c’est de croire le bien qu’un historien de parti ose dire des héros de la faction contraire, et le mal qu’il ose dire des chefs de la sienne dont il n’aura pas à se plaindre.

À l’égard des Mémoires réellement écrits par les personnages intéressés, comme ceux de Clarendon, de Ludlow, de Burnet, en Angleterre ; de La Rochefoucauld, de Retz, en France ; s’ils s’accordent, ils sont vrais ; s’ils se contrarient, doutez.

Pour les ana et les anecdotes, il y en a un sur cent qui peut contenir quelque ombre de vérité.


SECTION IV.
DE LA MÉTHODE, DE LA MANIÈRE D’ÉCRIRE L’HISTOIRE, ET DU STYLE.

On en a tant dit sur cette matière qu’il faut ici en dire très-peu. On sait assez que la méthode et le style de Tite-Live, sa gravité, son éloquence sage, conviennent à la majesté de la république romaine ; que Tacite est plus fait pour peindre des tyrans ; Polybe, pour donner des leçons de la guerre ; Denis d’Halicarnasse, pour développer les antiquités.

Mais en se modelant en général sur ces grands maîtres, on a aujourd’hui un fardeau plus pesant que le leur à soutenir. On exige des historiens modernes plus de détails, des faits plus constatés, des dates précises, des autorités, plus d’attention aux usages, aux lois, aux mœurs, au commerce, à la finance, à l’agriculture, à la population ; il en est de l’histoire comme des mathématiques et de la physique : la carrière s’est prodigieusement accrue. Autant il est aisé de faire un recueil de gazettes, autant il est difficile aujourd’hui d’écrire l’histoire.

[1]Daniel se crut un historien parce qu’il transcrivait des dates et des récits de batailles où l’on n’entend rien. Il devait m’apprendre les droits de la nation, les droits des principaux corps de cette nation, ses lois, ses usages, ses mœurs, et comment ils ont changé. Cette nation est en droit de lui dire : Je vous demande mon histoire encore plus que celle de Louis le Gros et de Louis Hutin. Vous me dites, d’après une vieille chronique écrite au hasard, que Louis VIII étant attaqué d’une maladie mortelle, exténué, languissant, n’en pouvant plus, les médecins ordonnèrent à ce corps cadavéreux de coucher avec une jolie fille pour

  1. Cet alinéa n’est point dans l’Encyclopédie ; il fut ajouté en 1771. (B.)