Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/421

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LE CHEVALIER.

Ah ! madame, ce n’est que depuis que j’ai l’honneur de vous parler : c’était tout autre chose auparavant. Ah ! quelle différence, madame !

LA PRÉSIDENTE.

Pauvre enfant ! vous avez pourtant la couleur bonne et l’œil assez vif. Çà, ne déguisez rien : avez-vous la liberté du…

LE CHEVALIER.

Plus de liberté, madame ; c’est là mon mal : cela commença, il y a un mois, sur l’escalier de la Comédie ; mes yeux furent dans un éblouissement involontaire, mon sang s’agita ; j’éprouvai des palpitations, des inquiétudes, ah ! madame, des inquiétudes !…

LA PRÉSIDENTE.

Dans les jambes ?

LE CHEVALIER.

Ah ! partout, madame, des inquiétudes cruelles ; je ne dormais plus ; je rêvais toujours à la même chose, j’étais mélancolique.

LA PRÉSIDENTE.

Et rien ne vous a donné du soulagement ?

LE CHEVALIER.

Pardonnez-moi, madame ; cinq ou six ordonnances par écrit m’ont donné un peu de tranquillité. Je me suis mis entre les mains d’un médecin charmant, qui a entrepris ma cure ; mais je commence à croire qu’il faudra que vous daigniez l’aider : heureux si vous pouvez consulter avec lui sur les moyens de me mettre dans l’état où j’aspire.

LA PRÉSIDENTE.

Oh ! vous n’avez qu’à l’amener, je le purgerai lui-même, je vous en réponds.

LE PRÉSIDENT.

Or çà, monsieur, point de compliments entre gens du métier : vous souperez avec nous ce soir, si vous le trouvez bon ; et cela en famille avec ma femme, ma fille la comtesse, et ma fille Fanchon.

LE CHEVALIER.

Ah ! monsieur, vous ne pouviez, je vous jure, me faire un plus grand plaisir.

LE PRÉSIDENT.

Et après souper, je veux que nous observions ensemble l’état du ciel.

LE CHEVALIER.

Pardonnez-moi, monsieur ; j’ai d’ordinaire après souper la vue un peu trouble.