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Scène III.

LE COMTE, LA COMTESSE.
LA COMTESSE.

Avez-vous résolu, monsieur, de me faire mourir de chagrin ?

LE COMTE.

Comment donc, madame, en quoi vous ai-je déplu, s’il vous plaît ?

LA COMTESSE.

Hélas ! c’est moi qui ne vous déplais que trop. Il y a six mois que nous sommes mariés, et vous me traitez comme si nous étions brouillés depuis trente ans.

LE COMTE, se regardant dans un miroir de poche, en ajustant sa perruque.

Vous voilà toute prête à pleurer ! De quoi vous plaignez-vous ? N’avez-vous pas une très-grosse pension ? n’êtes-vous pas maîtresse de vos actions ? suis-je un ladre, un bourru, un jaloux ?

LA COMTESSE.

Plût à Dieu que vous fussiez jaloux ! Insultez-vous ainsi à mon attachement ? vous ne me donnez que des marques d’aversion : était-ce pour cela que je vous ai épousé ?

LE COMTE, se nettoyant les dents.

Mais vous m’avez épousé, madame, vous m’avez épousé pour être dame de qualité, pour prendre le pas sur vos compagnes avec qui vous avez été élevée, pour les faire crever de dépit. Moi, je vous ai épousée… je vous ai épousée, madame, pour ajouter deux cent mille écus à mon bien. De ces deux cent mille écus, j’en ai déjà mangé cent mille : par conséquent, je ne vous dois plus que la moitié des égards que je vous devais. Quand j’aurai mangé les cent mille autres, je serai tout à fait quitte avec vous. Raillerie à part, je vous aime : je ne veux pas que vous soyez malheureuse, mais j’exige que vous ayez un peu d’indulgence.

LA COMTESSE.

Vous m’outrez : vous vous repentirez peut-être un jour de m’avoir désespérée.

LE COMTE.

Quoi donc ! qu’avez-vous ? venez-vous ici gronder votre mari de quelque tour que vous aura joué votre amant ? Ah ! comtesse, parlez-moi avec confiance : qui aimez-vous actuellement ?