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ÉPÎTRE DÉDICATOIRE.


sont l’espèce la plus ridicule qui rampe avec orgueil sur la surface de la terre.

Une raison encore qui m’engage à m’entretenir de belles-lettres avec un Anglais plutôt qu’avec un autre, c’est votre heureuse liberté de penser ; elle en communique à mon esprit ; mes idées se trouvent plus hardies avec vous.

Quiconque avec moi s’entretient
Semble disposer de mon âme :
S’il sent vivement, il m’enflamme ;
Et s’il est fort, il me soutient.
Un courtisan pétri de feinte
Fait dans moi tristement passer
Sa défiance et sa contrainte ;
Mais un esprit libre et sans crainte
M’enhardit et me fait penser.
Mon feu s’échauffe à sa lumière,
Ainsi qu’un jeune peintre, instruit
Sous Le Moine et sous Largillière,
De ces maîtres qui l’ont conduit
Se rend la touche familière ;
Il prend malgré lui leur manière,
Et compose avec leur esprit.
C’est pourquoi Virgile se fit
Un devoir d’admirer Homère ;
Il le suivit dans sa carrière.
Et son émule il se rendit

Sans se rendre son plagiaire[1].

Ne craignez pas qu’en vous envoyant ma pièce je vous en fasse une longue apologie : je pourrais vous dire pourquoi je n’ai pas donné à Zaïre une vocation plus déterminée au christianisme, avant qu’elle reconnût son père, et pourquoi elle cache son secret à son amant, etc. ; mais les esprits sages qui aiment à rendre justice verront bien mes raisons sans que je les indique : pour les

  1. Passage retranché en 1733, et imprimé pour la première fois en 1820.

    Sans se rendre son plagiaire.
    Ainsi dans les bras d’un mari,
    Une femme lui faisant fête,
    De son amant tendre et chéri
    Se remplit vivement la tête :
    Elle voit là son cher objet ;
    Elle en a l’âme possédée,
    Et fait un fils qui, trait pour trait,
    Est bientôt le vivant portrait
    De celui dont elle eut l’idée.