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LOIS (ESPRIT DES).

prouve le savant Huet dans son Traité sur le commerce des anciens. Il prouve que longtemps avant la première guerre punique les Romains s’étaient adonnés au commerce.

« On voit dans le traité qui finit la première guerre punique que Carthage fut principalement attentive à se conserver l’empire de la mer, et Rome à garder celui de la terre. » (Liv. XXI, chap. xi) — Ce traité est de l’an 510 de Rome. Il y est dit que les Carthaginois ne pourraient naviguer vers aucune île près de l’Italie, et qu’ils évacueraient la Sicile. Ainsi les Romains eurent l’empire de la mer, pour lequel ils avaient combattu. Et Montesquieu a précisément pris le contre-pied d’une vérité historique la mieux constatée.

« Hannon, dans la négociation avec les Romains, déclara que les Carthaginois ne souffriraient pas seulement que les Romains se lavassent les mains dans les mers de Sicile. » (Ibid.) — L’auteur fait ici un anachronisme de vingt-deux ans. La négociation d’Hannon est de l’an 488 de Rome, et le traité de paix dont il est question est de 510[1].

« Il ne fut pas permis aux Romains de naviguer au delà du beau promontoire. Il leur fut défendu de trafiquer en Sicile, en Sardaigne, en Afrique, excepté à Carthage. » (Ibid.) — L’auteur fait ici un anachronisme de deux cent soixante et cinq ans. C’est d’après Polybe que l’auteur rapporte ce traité conclu l’an de Rome 245, sous le consulat de Junius Brutus, immédiatement après l’expulsion des rois ; encore les conditions ne sont-elles pas fidèlement rapportées. « Carthaginem vero, et in cætera Africæ loca quæ cis pulchrum promontorium erant ; item in Sardiniam atque Siciliam, ubi Carthaginienses imperabant, navigare mercimonii causa licebat. » Il fut permis aux Romains de naviguer pour leur commerce à Carthage, sur toutes les côtes de l’Afrique en deçà du promontoire, de même que sur les côtes de Sardaigne et de la Sicile, qui obéissaient aux Carthaginois.

Ce mot seul, mercimonii causa, pour raison de leur commerce, démontre que les Romains étaient occupés des intérêts du commerce dès la naissance de la république.

N. B. Tout ce que dit l’auteur sur le commerce ancien et moderne est extrêmement erroné.

Je passe un nombre prodigieux de fautes capitales sur cette matière, quelque importantes qu’elles soient, parce qu’un des plus célèbres négociants de l’Europe s’occupe à les relever dans un livre qui sera très-utile.

  1. Voyez les Œuvres de Polybe (III, c. 23). (Note de Voltaire.)