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QUAKERS.

prince ? Est-ce ainsi qu’en usaient Barnabé, Philippe et Jude ? — Va, va, dit le prélat, si Barnabé, Philippe et Jude l’avaient pu, ils l’auraient fait ; et la preuve en est, que leurs successeurs l’ont fait dès qu’ils l’ont pu. »

Un autre, qui avait un jour à sa table plusieurs Gascons, disait : « Il faut bien que je sois monseigneur, puisque tous ces messieurs sont marquis. » Vanitas vanitatum.

J’ai déjà parlé des quakers à l’article Église primitive[1], et c’est pour cela que j’en veux parler encore. Je vous prie, mon cher lecteur, de ne point dire que je me répète : car s’il y a deux ou trois pages répétées dans ce Dictionnaire, ce n’est pas ma faute, c’est celle des éditeurs. Je suis malade au mont Krapack, je ne puis pas avoir l’œil à tout. J’ai des associés qui travaillent comme moi à la vigne du Seigneur, qui cherchent à inspirer la paix et la tolérance, l’horreur pour le fanatisme, la persécution, la calomnie, la dureté de mœurs, et l’ignorance insolente.

Je vous dirai, sans me répéter, que j’aime les quakers. Oui, si la mer ne me faisait pas un mal insupportable, ce serait dans ton sein, ô Pensylvanie, que j’irais finir le reste de ma carrière, s’il y a du reste. Tu es située au quarantième degré, dans le climat le plus doux et le plus favorable ; tes campagnes sont fertiles, tes maisons commodément bâties, les habitants industrieux, les manufactures en honneur. Une paix éternelle règne parmi tes citoyens ; les crimes y sont presque inconnus, et il n’y a qu’un seul exemple d’un homme banni du pays. Il le méritait bien : c’était un prêtre anglican qui, s’étant fait quaker, fut indigne de l’être. Ce malheureux fut sans doute possédé du diable, car il osa prêcher l’intolérance : il s’appelait George Keith ; on le chassa ; je ne sais pas où il est allé, mais puissent tous les intolérants aller avec lui !

Aussi de trois cent mille habitants qui vivent heureux chez toi, il y a deux cent mille étrangers. On peut, pour douze guinées, acquérir cent arpents de très-bonne terre ; et dans ces cent arpents on est véritablement roi, car on est libre, on est citoyen ; vous ne pouvez faire de mal à personne, et personne ne peut vous en faire ; vous pensez ce qu’il vous plaît, et vous le dites sans que personne vous persécute ; vous ne connaissez point le fardeau des impôts, continuellement redoublé ; vous n’avez point de cour à faire ; vous ne redoutez point l’insolence d’un subalterne important. Il est vrai qu’au mont Krapack nous vivons à peu près comme vous ; mais nous ne devons la tranquillité dont nous jouissons qu’aux

  1. Voyez la subdivision de l’article Église, tome XVIII, page 498.