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SUR LES ACADÉMIES.

Il est aisé de voir par quelle fatalité presque tous ces discours académiques ont fait si peu d’honneur à ce corps, vitium est temporis potius quam hominis. L’usage s’est insensiblement établi que tout académicien répéterait ces éloges à sa réception[1]. On s’est imposé une espèce de loi[2] d’ennuyer le public. Si on cherche ensuite pourquoi les plus grands génies qui sont entrés dans ce corps on fait quelquefois les plus mauvaises harangues, la raison en est encore bien aisée : c’est qu’ils ont voulu briller, c’est qu’ils ont voulu traiter nouvellement une matière tout usée, La nécessité de parler, l’embarras de n’avoir rien à dire, et l’envie d’avoir de l’esprit, sont trois choses capables de rendre ridicule même le plus grand homme. Ne pouvant trouver des pensées nouvelles, ils ont cherché des tours nouveaux, et ont parlé sans penser, comme des gens qui mâcheraient à vide, et feraient semblant de manger en périssant d’inanition.

Au lieu que c’est une loi dans l’Académie française de faire imprimer tous ces discours, par lesquels seuls elle est connue, ce devrait être une loi de ne les imprimer pas,

L’Académie des belles-lettres s’est proposé un but plus sage et plus utile, c’est de présenter au public un recueil de mémoires remplis de recherches et de critiques curieuses. Ces mémoires sont déjà estimés chez les étrangers. On souhaiterait seulement que quelques matières y fussent plus approfondies, et qu’on n’en eût point traité d’autres. On se serait, par exemple, fort bien passé de je ne sais quelle dissertation sur les prérogatives de la main droite sur la main gauche[3], et de quelques autres recherches qui, sous un titre moins ridicule, n’en sont guère moins frivoles,

L’Académie des sciences, dans ses recherches plus difficiles et d’une utilité plus sensible, embrasse la connaissance de la nature et la perfection des arts. Il est à croire que des études si profondes et si suivies, des calculs si exacts, des découvertes si fines, des vues si grandes, produiront enfin quelque chose qui servira au bien de l’univers[4].

  1. L’usage de ces compliments s’est aboli insensiblement ; et dans le dernier discours de réception, on s’est contenté de rendre un hommage à la mémoire du prédécesseur, et au roi protecteur de l’Académie. (K.) — Le discours de réception dont il est question dans cette note est celui que prononça, en 1782, Condorcet, l’un des éditeurs de Kehl.
  2. 1734. « Ç’a été une espèce de loi. »
  3. 1734. Les Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (t. III, p. 68) contiennent en effet une dissertation de H. Morin, Des Privilèges de la main droite.
  4. 1734. « Jusqu’à présent, comme nous l’avons déjà observé ensemble, c’est dans les siècles. »