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SUR LA PHILOSOPHIE DE NEWTON.

les rapports que des lignes, des surfaces et des solides, serait très-loin de connaître la nature[1].

Je dis donc qu’il se forme, selon les lois de l’optique, un angle une fois plus grand dans votre œil quand vous voyez un homme à dix pas que quand vous le voyez à vingt pas. Je dis que l’optique nous apprend qu’un objet est vu d’autant plus grand qu’il est vu sous un plus grand angle. Malgré cette loi mathématique, un homme vous paraît précisément de la même grandeur à dix pas et à vingt pas. Je demande comment ce sentiment contredit ainsi le mécanisme de nos organes et les lois de la géométrie. J’affirme enfin que la simple géométrie ne résoudra jamais ce problème. Un des philosophes des plus estimables de l’Europe m’écrivit, l’année passée, que je m’avançais trop, et qu’il ne serait point du tout embarrassé à expliquer géométriquement ce problème. J’ose prendre la liberté de lui dire qu’il n’en rendra jamais raison géométriquement, et que, s’il ne résout point cette difficulté, personne ne pourra la résoudre. Je crois que cette impossibilité est aussi bien démontrée que celle du mouvement perpétuel, ou de la quadrature du cercle.

Voici ma démonstration soumise à un examen d’autant plus rigoureux et plus aisé qu’elle est plus simple. Placez-vous à la tête de deux files de vingt soldats, tous d’égale grandeur et tous à égale distance les uns des autres : il est bien certain que les derniers soldats sont vus sons un angle vingt fois plus petit que les premiers. Il n’est pas moins certain que tous ces soldats vous paraissent également grands ; quelque forme qu’on donne à l’œil, quelque supposition qu’on fasse, que votre cristallin s’allonge ou s’arrondisse, se recule ou s’avance, il est également arrondi ou aplati, ou éloigné ou rapproché, par rapport à tous ces soldats que vous regardez à la fois. S’il rend les angles dans votre rétine plus petits, tous les objets doivent diminuer à proportion de leur distance ; s’il les rend plus grands, tous les objets doivent s’agrandir proportionnellement. Imaginez tous les moyens possibles pour tâcher d’avoir dans votre œil l’angle formé par le dernier soldat vingt fois plus grand, il faut qu’alors l’angle formé par le premier soldat devienne vingt fois plus grand aussi qu’il n’était : c’est une contradiction dans les termes que l’œil puisse se modifier au même instant d’une façon pour les objets à vingt pas, et d’une autre pour les objets à un pas. Donc il est démontré

  1. N. B. que pages 78-79, il y a toujours 4 pour 2, et 2 pour 4 : le lecteur peut corriger ces erreurs ; mais un carton serait mieux. (Note de Voltaire.)