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ESSAI SUR LA NATURE DU FEU

feu dans tout ce que l’on brûle en un jour sur la terre ; mais aussi il n’est pas problable que le feu ne contribue en rien à cette addition de poids.

Je joins à cette probabilité, qu’il n’y a d’ailleurs aucune raison pour priver l’élément du feu de la pesanteur qu’ont les autres éléments, et je conclus qu’il est très-probable que le feu est pesant[1].

Les philosophes qui refusent au feu l’impénétrabilité ne manqueront pas encore de raisons. Ils est constaté, diront-ils, que la lumière est du feu ; que ce feu vient à nos yeux ; que ses traits, ses rayons sont colorés, c’est-à-dire que les rayons producteurs du rouge doivent toujours donner la sensation du rouge, etc.

Or, cela posé, vous regardez deux points, dont l’un est rouge et l’autre bleu : non-seulement les rayons bleus et rouges se croisent nécessairement avant d’arriver à vos yeux ; mais dans ce point d’intersection il passe encore une infinité de rayons de l’atmosphère ; réunissez encore dans ce même point tous les rayons réfléchis d’un miroir concave, et tous ceux d’un verre lenticulaire qui lui sera opposé, vous n’en verrez toujours que plus vivement le point rouge et le point bleu ; ces deux traits de feu viendront toujours à vos yeux dans leur même direction, à travers ces mille millions de traits qui pénètrent leur surface : le feu ne semble donc pas impénétrable.

Le feu, suivant l’idée de ces philosophes, serait donc une substance qui aurait quelques attributs de la matière, et qui ne serait pas en effet matière. Il aurait la divisibilité, la mobilité, l’étendue ; mais il n’aurait ni la gravitation vers un centre, ni l’impénétrabilité, caractère plus inhérent dans la matière que la gravitation.

Il agirait sur les corps, sans être entièrement de la nature des

  1. Plusieurs physiciens ont répété depuis les expériences sur la différence de poids qu’on peut soupçonner entre une masse de métal rouge et la même masse refroidie, et ils ont trouvé des conclusions opposées : ce qui devait arriver, parce que cette différence est nécessairement très-petite, imperceptible dans de petites masses, et fort au-dessous de l’erreur qu’on peut commettre en pesant des masses considérables.
    Quant à l’augmentation de poids des métaux calcinés, la conjecture de M. de Voltaire a été confirmée par des expériences non douteuses. On sait à présent qu’il se combine avec les métaux, pendant la calcination, une certaine quantité d’air vital, ou air déphlogistiqué de Priestley, qui en augmente le poids. C’est par cette raison que la calcination des métaux est impossible dans les vaisseaux clos, quelque violent que soit le feu qu’on leur applique. (K.) — Voltaire est évidemment dominé par l’idée de la matérialité du feu, car il tire des conclusions d’expériences qui ne les comportent pas, ou en comportent de contraires. (D.)