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ESSAI SUR LA NATURE DU FEU

composés d’autres tourbillons ? Il le faut bien, puisqu’ils ont des parties. La dernière de ces particules sera-t-elle un tourbillon ? en quelle direction se mouvront-ils ? est-ce en un seul sens ? est-ce en tous sens ? Qu’on songe bien qu’ils remplissent l’univers, et qu’on voie ce qui en résulterait. Il faudrait que tout suivît cette direction de leur mouvement. Sont-ils durs ? sont-ils mous ? S’ils sont durs, comment laisseront-ils venir à nous un rayon de lumière ? s’ils sont mous, comment ne se confondront-ils pas tous ensemble ? De quelque côté qu’on se tourne, on est environné d’obscurités.

Je demande simplement si, dans les incertitudes où nous laisse la physique, il ne vaut pas mieux s’en tenir aux substances, dont au moins on connaît l’existence et quelques propriétés, que de rechercher des êtres dont il faut deviner l’existence. Nous sommes tous des étrangers sur la terre que nous habitons ; ne devons-nous pas plutôt examiner ce qui nous entoure que de faire la carte des pays inconnus ? Nous voyons du feu sortir des corps où il était enveloppé ; nous voyons qu’il est dans tous les corps connus, qu’il imprime évidemment des vibrations à leurs parties ; que quand ces vibrations sont finies par la dissolution du corps, tout ressort cesse ; nous sentons que l’air devient plus élastique quand il s’échauffe, et moins quand il est très-froid ; pourquoi donc chercher ailleurs que dans cet élément du feu l’élasticité qu’il donne si sensiblement ? Par là on ne se chargerait du fardeau d’aucune hypothèse ; et certainement on n’avancerait pas moins dans la connaissance de la nature[1].

  1. Il n’est point prouvé que la cause de l’élasticité des ressorts soit la même que celle de la force par laquelle les corps dans l’état d’expansion tendent à occuper un plus grand espace. Il semble que la première force peut être l’effet de celle qui produit la cohésion. Les molécules d’un corps ont pris un certain ordre en vertu de cette force ; vous changez cet ordre en pressant le corps ou en le pliant ; si vous cessez d’agir, les molécules dérangées de cet état, qui était, relativement à cette force, l’état d’équilibre, tendront à s’y restituer. Quant à la force des substances expansibles, elle parait inexplicable par la force d’attraction, par la tendance à l’équilibre d’un système de molécules qui s’attirent ; peut-être a-t-elle pour cause quelque propriété de feu encore inconnue. Du moins, comme la chaleur augmente cette force, et que le froid la diminue, comme le feu met dans l’état d’expansibilité des substances liquides ou solides, on ne peut nier qu’il n’agisse comme cause ou comme moyen dans les phénomènes que présente la force expansive. (K.)