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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I.

un autre, dans un espace non résistant, la main de leur créateur a donc dirigé leur cours en ce sens avec une liberté absolue.

Il s’en faut bien que les prétendus principes physiques de Descartes conduisent ainsi l’esprit à la connaissance de son Créateur. À Dieu ne plaise que par une calomnie horrible j’accuse ce grand homme d’avoir méconnu la suprême intelligence à laquelle il devait tant, et qui l’avait élevé au-dessus de presque tous les hommes de son siècle ! je dis seulement que l’abus qu’il a fait quelquefois de son esprit a conduit ses disciples à des précipices, dont le maître était fort éloigné ; je dis que le système cartésien a produit celui de Spinosa ; je dis que j’ai connu beaucoup de personnes que le cartésianisme a conduites à n’admettre d’autre Dieu que l’immensité des choses, et que je n’ai vu au contraire aucun Newtonien qui ne fût théiste dans le sens le plus rigoureux.

Dès qu’on s’est persuadé, avec Descartes, qu’il est impossible que le monde soit fini, que le mouvement est toujours dans la même quantité ; dès qu’on ose dire : Donnez-moi du mouvement et de la matière, et je vais faire un monde ; alors, il le faut avouer, ces idées semblent exclure, par des conséquences trop justes, l’idée d’un être seul infini, seul auteur du mouvement, seul auteur de l’organisation des substances.

Plusieurs personnes s’étonneront ici peut-être que de toutes les preuves de l’existence d’un Dieu, celle des causes finales fût la plus forte aux yeux de Newton. Le dessein, ou plutôt les desseins variés à l’infini qui éclatent dans les plus vastes et les plus petites parties de l’univers, font une démonstration qui, à force d’être sensible, en est presque méprisée par quelques philosophes ; mais enfin Newton pensait que ces rapports infinis, qu’il apercevait plus qu’un autre, étaient l’ouvrage d’un artisan infiniment habile[1].

    relation avec la sous-tangente, quoique l’on ait connu la parabole et cette seconde propriété longtemps avant de connaître la première. (K.)

  1. Cette preuve est regardée par tous les théistes éclairés comme la seule qui ne soit pas au-dessus de l’intelligence humaine ; et la difficulté entre eux et les athées se réduit à savoir jusqu’à quel point de probabilité on peut porter la preuve qu’il existe dans l’univers un ordre qui indique qu’il ait pour auteur un être intelligent. M. de Voltaire croyait, avec Fénelon et Nicole, que cette probabilité était équivalente à la certitude ; d’autres la trouvent si faible qu’ils croient devoir rester dans le doute ; d’autres enfin ont cru que cette probabilité était en faveur d’une cause aveugle. Ce qui doit consoler ceux que ces contradictions affligent, c’est que tous ces philosophes conviennent de la même morale, et prouvent également bien qu’il ne peut y avoir de bonheur pour l’homme que dans la pratique rigoureuse de ses devoirs. (K.)