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PREMIÈRE PARTIE.
MÉTAPHYSIQUE.


CHAPITRE I.
De Dieu. — Raisons que tous les esprits ne goûtent pas. Raisons des matérialistes.


Newton était intimement persuadé de l’existence d’un Dieu, et il entendait par ce mot, non-seulement un Être infini, tout-puissant, éternel et créateur, mais un maître qui a mis une relation entre lui et ses créatures : car, sans cette relation, la connaissance d’un Dieu n’est qu’une idée stérile qui semblerait inviter au crime, par l’espoir de l’impunité, tout raisonneur né pervers.

Aussi ce grand philosophe fait une remarque singulière à la fin de ses principes. C’est qu’on ne dit point mon éternel, mon infini, parce que ces attributs n’ont rien de relatif à notre nature ; mais on dit, et on doit dire mon Dieu, et par là il faut entendre le maître et le conservateur de notre vie, et l’objet de nos pensées. Je me souviens que dans plusieurs conférences que j’eus, en 1726, avec le docteur Clarke, jamais ce philosophe ne prononçait le nom de Dieu qu’avec un air de recueillement et de respect très-remarquable. Je lui avouai l’impression que cela faisait sur moi, et il me dit que c’était de Newton qu’il avait pris insensiblement cette coutume, laquelle doit être en effet celle de tous les hommes.

Toute la philosophie de Newton conduit nécessairement à la connaissance d’un Être suprême, qui a tout créé, tout arrangé librement. Car, si selon Newton (et selon la raison) le monde est fini, s’il y a du vide, la matière n’existe donc pas nécessairement, elle a donc reçu l’existence d’une cause libre. Si la matière gravite, comme cela est démontré, elle ne gravite pas de sa nature, ainsi qu’elle est étendue de sa nature : elle a donc reçu de Dieu la gravitation[1]. Si les planètes tournent en un sens plutôt qu’en

  1. Ce raisonnement n’est pas rigoureux : il est possible que la gravitation soit essentielle à la matière comme l’impénétrabilité, quoique cette propriété générale nous frappe moins et ait été observée plus tard. L’équation qui a lieu entre l’ordonnée d’une parabole et son aire est aussi essentielle à cette courbe que la