Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/485

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
467
DES DISTANCES ET GRANDEURS.


CHAPITRE VII[1].
Comment nous connaissons les distances, les grandeurs, les figures, les situations. — Les angles ni les lignes optiques ne peuvent nous faire connaître les distances. Exemple en preuve. Ces lignes optiques ne font connaître ni les grandeurs ni les figures. Exemple en preuve. Preuve par l’expérience de l’aveugle-né, guéri par Cheselden. Comment nous connaissons les distances et les grandeurs. Exemple. Nous apprenons à voir comme à lire. La vue ne peut faire connaître l’étendue.


Commençons par la distance. Il est clair qu’elle ne peut être aperçue immédiatement par elle-même, car la distance n’est qu’une ligne de l’objet à nous. Cette ligne se termine à un point ; nous ne sentons donc que ce point, et soit que l’objet existe à mille lieues, ou qu’il soit à un pied, ce point est toujours le même.

Nous n’avons donc aucun moyen immédiat pour apercevoir tout d’un coup la distance, comme nous en avons pour sentir par l’attouchement si un corps est dur ou mou ; par le goût, s’il est doux ou amer ; par l’ouïe, si de deux sons l’un est grave et l’autre aigu. Car, qu’on y prenne bien garde, les parties d’un corps qui cèdent à mon doigt sont la plus prochaine cause de ma sensation de mollesse, et les vibrations de l’air, excitées par le corps sonore, sont la plus prochaine cause de ma sensation du son ; or si je ne puis avoir ainsi immédiatement une idée de distance, il faut donc que je connaisse cette distance par le moyen d’une autre idée intermédiaire. Mais il faut au moins que j’aperçoive cette intermédiaire : car une idée que je n’aurai point ne servira certainement pas à m’en faire avoir une autre. Je dis qu’une telle maison est à un mille d’une telle rivière ; mais si je ne sais pas où est cette rivière, je ne sais certainement pas où est cette maison. Un corps cède aisément à l’impression de ma main, je conclus immédiatement sa mollesse ; un autre résiste, je sens immédiatement sa dureté : il faudrait donc que je sentisse les angles formés dans mon œil, pour en conclure immédiatement les distances des objets. Mais la plupart des hommes ne savent pas même si ces angles existent : donc il est évident que ces angles ne peuvent être la cause immédiate de ce que vous connaissez les distances.

  1. Voltaire donna, en 1771, dans la quatrième partie de ses Questions sur l’Encyclopédie (voyez tome XVIII, page 402), un article Distance, qui était presque textuellement extrait de ce chapitre.