Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/515

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
497
DE LA CAUSE DES COULEURS.

car, dire que cela vient de la différence de leurs parties, c’est dire une chose vague qui n’apprend rien du tout.

Un divertissement d’enfant, qui semble n’avoir rien en soi que de méprisable, donna à M. Newton la première idée de ces nouvelles vérités que nous allons expliquer. Tout doit être pour un philosophe un sujet de méditation, et rien n’est petit à ses yeux. Il s’aperçut que dans ces bouteilles de savon, que font les enfants, les couleurs changent de moment en moment, en comptant du haut de la boule à mesure que l’épaisseur de cette boule diminue, jusqu’à ce qu’enfin la pesanteur de l’eau et du savon qui tombe toujours au fond rompe l’équilibre de cette sphère légère, et la fasse évanouir. Il en présuma que les couleurs pourraient bien dépendre de l’épaisseur des parties qui composent les surfaces des corps, et, pour s’en assurer, il fit les expériences suivantes.

Que deux cristaux se touchent en un point : il n’importe qu’ils soient tous deux convexes[1] ; il suffit que le premier le soit, et qu’il soit posé sur l’autre en cette façon.

Qu’on mette de l’eau entre ces deux verres (figure 40) pour rendre plus sensible l’expérience, qui se fait aussi dans l’air ; qu’on presse un peu ces verres l’un contre l’autre, une petite tache noire transparente paraît au point du contact des deux verres : de ce point, entouré d’un peu d’eau, se forment des anneaux colorés dans le même ordre et de la même manière que dans la bouteille de savon ; enfin, en mesurant le diamètre de ces anneaux et la convexité du verre, Newton détermina les différentes épaisseurs des parties d’eau qui donnaient ces différentes couleurs ; il calcula l’épaisseur nécessaire à l’eau pour réfléchir les rayons blancs : cette épaisseur est d’environ quatre parties d’un pouce divisé en un million, c’est-à-dire quatre millionièmes d’un pouce ; le bleu azur et les couleurs tirant sur le violet dépendent d’une épaisseur beaucoup moindre. Ainsi les vapeurs les plus petites qui s’élèvent de la terre, et qui colorent l’air sans nuages, étant d’une très-mince surface, produisent ce bleu céleste qui charme la vue.

D’autres expériences aussi fines ont encore appuyé cette découverte, que c’est à l’épaisseur des surfaces que sont attachées les couleurs.

Le même corps qui était vert quand il était un peu épais est devenu bleu quand il a été rendu assez mince pour ne réfléchir que les rayons bleus, et pour laisser passer les autres. Ces vérités,

  1. Voltaire entend deux lentilles. (D.)