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SOTTISE DES DEUX PARTS.

ont paru, il ne reste dans la mémoire des hommes que celles qui ont produit ou d’extrêmes désordres ou d’extrêmes ridicules, deux choses qu’on retient assez volontiers. Qui sait aujourd’hui s’il y a eu des orebites, des osmites, des insdorfiens ? Qui connaît les oints et les pâtissiers, les cornaciens, les iscariotistes ?

Un jour, en dînant chez une dame hollandaise, je fus charitablement averti par un des convives de prendre bien garde à moi, et de ne me pas aviser de louer Voëtius. « Je n’ai nulle envie, lui dis-je, de dire ni bien ni mal de votre Voëtius ; mais pourquoi me donnez-vous cet avis ? — C’est que madame est coccéienne[1], me dit mon voisin. — Hélas ! très-volontiers, lui dis-je. » Il m’ajouta qu’il y avait encore quatre coccéiennes en Hollande, et que c’était grand dommage que l’espèce pérît. Un temps viendra où les jansénistes, qui ont fait tant de bruit parmi nous, et qui sont ignorés partout ailleurs, auront le sort des coccéiens. Un vieux docteur me disait : « Monsieur, dans ma jeunesse je me suis escrimé pour le mandata impossibilia volentibiis et conantibiis. J’ai écrit contre le Formulaire et contre le pape, et je me suis cru confesseur. J’ai été mis en prison, et je me suis cru martyr. Actuellement je ne me mêle plus de rien, et je me crois raisonnable. — Quelles sont vos occupations ? lui dis-je. — Monsieur, me répondit-il, j’aime beaucoup l’argent. » C’est ainsi que presque tous les hommes dans leur vieillesse se moquent intérieurement des sottises qu’ils ont avidement embrassées dans leur jeunesse. Les sectes vieillissent comme les hommes. Celles qui n’ont pas été soutenues par de grands princes, qui n’ont point causé de grands maux, vieillissent plus tôt que les autres. Ce sont des maladies épidémiques qui passent comme la suette et la coqueluche.

Il n’est plus question des pieuses rêveries de Mme  Guyon. Ce n’est plus le livre inintelligible des Maximes des Saints qu’on lit, c’est le Télémaque. On ne se souvient plus de ce que l’éloquent Bossuet écrivit contre le tendre, l’élégant, l’aimable Fénelon ; on donne la préférence à ses Oraisons funèbres. Dans toute la dispute sur ce qu’on appelait le quiétisme, il n’y a eu de bon que l’ancien conte réchauffé de la bonne femme qui apportait un réchaud pour brûler le paradis, et une cruche d’eau pour éteindre le feu de l’enfer, afin qu’on ne servît plus Dieu par espérance ni par crainte. Je remarquerai seulement une singularité de ce procès, laquelle ne vaut pas le conte de la bonne femme : c’est que les jésuites, qui étaient tant accusés en France par les jansénistes

  1. Les coccéiens étaient sectateurs de Jean Cox, né à Brême en 1603.