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HISTOIRE DU DOCTEUR AKAKIA.

Le natif de Saint-Malo ayant été attaqué longtemps d’une maladie chronique appelée en grec philotimie, et par d’aucuns philocratie[1], elle lui porta si violemment au cerveau, et il eut de tels accès qu’il écrivit contre les médecins et contre les preuves de l’existence de Dieu[2]. Tantôt il s’imaginait qu’il perçait la terre jusqu’au centre, tantôt qu’il bâtissait une ville latine. Quelquefois même il avait des révélations sur la connaissance de l’âme en disséquant des singes. Enfin il en vint au point de se croire une fois plus grand qu’un géant du siècle passé, nommé Leibnitz[3], quoiqu’il n’eût pas tout à fait cinq pieds de haut. Un de ses anciens camarades, Suisse de nation[4], professeur à la Haye, touché de son triste état, alla le voir pour lui montrer sa juste mesure. Le natif de Saint-Malo, au lieu de reconnaître l’important service du Suisse, le déclara faussaire, et perturbateur de la Morotimie[5].

Le médecin Akakia[6], voyant que le natif de Saint-Malo était parvenu à son dernier période, composa pour sa guérison le petit remède anodin suivant, qu’il lui fit présenter secundum artem, avec toute la discrétion imaginable, pour ne pas effaroucher les humeurs peccantes.

DIATRIBE DU DOCTEUR AKAKIA, MÉDECIN DU PAPE[7].

Rien n’est plus commun aujourd’hui que de jeunes auteurs ignorés qui mettent sous des noms connus des ouvrages peu

  1. Le mot philocratie peut se traduire par amour du pouvoir ; celui de philotimie peut se rendre par amour des honneurs, ambition. (Cl.)
  2. Voyez, page 535 et suivantes, l’Extrait de la Bibliothèque raisonnée.
  3. Leibnitz (Godefroi-Guillaume), né le 3 juillet 1646, mort le 14 novembre 1716.
  4. Koenig (Samuel), né en 1712 à Buedingen ou Buedingue, ville d’Allemagne, à quatre lieues de Francfort, et deux lieues et demie de Hanau, n’était pas Suisse, comme le dit Voltaire ; il mourut en 1757.
  5. Mot qui signifie honneur, dignité des sots.
  6. Martin-sans-malice, médecin de François Ier et professeur au Collége de France, prit le nom d’Akakia, qui n’était que la traduction en grec de son nom. (B.)
  7. Si l’on en croit Maupertuis, la Diatribe du docteur Akakia fut imprimée tout à la fois en plusieurs endroits. Formey dit que Voltaire fit faire l’édition de Berlin en se servant de la permission d’imprimer qu’il avait obtenue pour la Défense de milord Bolingbroke (voyez page 517) ; mais que cette édition de Berlin ne fut pas mise en circulation. Le roi de Prusse fit brûler l’ouvrage par la main