Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/141

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procureur général 1 contre l'Encyclopédie n'ont-elles pas été plus fortes que le mandement de notre archevêque 2 ? Les discours académiques, qui sont lus du roi et de tout l'univers 3, ne sont-ils pas des déclamations contre vous ? Et vous comptez encore sur la police ! Tremblez que sa main ne s'arme contrôles auteurs, après avoir sévi contre l'ouvrage ; tremblez qu'elle ne vous plonge dans des cachots, d'où vous ne sortirez que pour être traînés à la Grève, et précipités de là dans le feu éternel qui est préparé au diable et à ses anges.

l'encyclopédiste.

Voilà une terrible déclaration ; et je ne m'attendais pas, en travaillant innocemment à cet ouvrage, où j'ai inséré quelques articles sur les arts, de travailler pour la Grève et pour l'enfer.

La police, en effet, a supprimé l'Encyclopédie : peut-être y avait-il des choses qui n'étaient pas de l'essence d'un dictionnaire, et qu'il aurait été plus convenable de ne pas y mettre ; mais je réponds que les estimables auteurs de cet ouvrage n'ont eu que les intentions les plus pures, et n'ont cherché que la vérité : si quelquefois elle leur a échappé, c'est qu'il est dans la nature humaine de se tromper : la vérité ne s'effraye point des recherches, elle reste toujours debout, et triomphe toujours de l'erreur. Voyez les Anglais; cette nation sage et éclairée a livré les questions les plus délicates à la discussion et à l'examen. M. Hume, ce fameux sceptique, est aussi honoré parmi eux que l'homme le plus soumis à la foi ; vous savez aussi bien que moi qu'elle est un don de Dieu, et qu'il ne faut pas s'emporter contre ceux qui, manquant de ce précieux flambeau, veulent y suppléer par la conviction qui résulte de l'examen. Nos magistrats, dont la reli-

1. Omer Joly de Fleury, qui, comme le dit Voltaire, n'était ni Homère, ni joli, ni fleuri. Son réquisitoire est du 23 janvier 1759. (B.)

2. Christophe de Beaumont, archevêque de Paris.

3. Ces mots, qui sont lus du roi et de tout l'univers, rappellent ces vers de Voltaire :

Lefranc de Pompignan dit à tout l'univers
Que le roi lit sa prose, et même encor ses vers.

(Le Russe à Paris.)

Dans une note de la pièce où se trouvent ces vers, Voltaire cite quelques phrases de Lefranc. Elles sont si ridicules qu'on a pu croire que Voltaire les avait arrangées à sa guise. J'ai sous les yeux le Mémoire présenté au roi par M. de Pompignan, le 11 mai 1700, in-i". On y lit en effet (page 17 et dernière) : « Toute la cour a été témoin de l'accueil que me firent Leurs Majestés. Il faut que tout l'univers sache aussi qu'elles ont paru s'occuper de mon ouvrage, non comme d'une nouveauté passagère ou indifférente, mais comme d'une production qui n'était pas indigne de l'attention particulière des souverains. » (B.) — Voyez tome X, pages 124-125.