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SUK LA NOUVELLE ni^:L01SE. 173

\oilà encore le roman fini, à moins que Jean-Jacques ne ré- pare la perte du faux germe, et ne fasse un second enfant à sa Suissesse. Mais un nouvel ordre de choses se présenta pour exercer toutes les vertus de ce tendre amant, et pour le rendre l'homme le plus accompli que nous ayons eu en Europe.

Il avait, comme nous l'avons dit, le cœur extrêmement haut, et n'était pas homme à recevoir des gages, parce que ce mot de gage pourrait détruire, dans l'esprit de ceux qui ne pensent point, l'idée de cette égalité parfaite que Dieu a mise entre toutes les conditions. Jean-Jacques ne reçut donc point dégages, mais une douzaine d'écus que lui donna sa helle maîtresse ; il daigna accepter aussi quelques guinées de milord avec une petite pen- sion, moyennant quoi il alla briller à Paris dans le beau monde, de peur que M. le baron ne le fît jeter, en Suisse, parles fenêtres de sa chaumière, qu'il appelait château.

Dès qu'il fut à Paris, où il porta toujours dans son cœur l'image de sa chère Julie, il vit que la philosophie bien entendue admet- tait des consolations, et aussitôt il en alla chercher chez les filles de joie avec la meilleure compagnie de Paris, semblable à Don Quichotte, qui adorait Dulcinée du Toboso dans les bras de Maritorne. Il instruisit aussitôt sa belle Suissesse de cette petite infidélité, qui n'était au fond qu'un sacrifice fait sur un autel étranger à la vraie divinité qui régnait sur son âme.

Quelque temps après cet événement, Jean-Jacques eut la pe- tite vérole ; mais il ne nous dit pas tout :

Supprimit orator, quod rusticus edit inepte.

Sa maîtresse ne prit pas tout à fait les mêmes remèdes contre l'amour; mais elle épousa, pour se dépiquer, un gros Fiusse naturalisé dans le pays de Vaud, assez semblable au bon Suisse que M"" la duchesse du Maine donna à M" de Launay^ Quand ce bonhomme fut en possession des charmes de la belle Julie, c'était bien là le cas pour Jean-Jacques de chercher ses con- solations ordinaires; mais il aima mieux faire le tour du monde avec l'amiral Anson. Il assista à la prise du fameux vais- seau de Manille, et eut pour son droit de présence une part très-

1. Les lettres imprimées, au lieu de ce nom, ne contiennent que cinq étoiles; mais le nom est tout au long dans le manuscrit que je possède. M"^ de Launay, née en 1693, épousa le baron de Staal, et mourut en 1750, laissant sur elle-même des Mémoires piquants, quoiqu'elle ne se soit peinte qu'en buste, comme elle le disait. (B.)

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